Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/442

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lard[1] qui ont quelque chose, et dont les bassesses ne peuvent s’excuser par le borborygme d’un estomac qui souffre ?

moi.

Je ne vous aurais jamais cru si difficile.

lui.

Je ne le suis pas. Au commencement je voyais faire les autres, et je faisais comme eux, même un peu mieux, parce que je suis plus franchement impudent, meilleur comédien, plus affamé, fourni de meilleurs poumons. Je descends apparemment en droite ligne du fameux Stentor…

Et pour me donner une juste idée de la force de ce viscère, il se mit à tousser d’une violence à ébranler les vitres du café, et à suspendre l’attention des joueurs d’échecs.

moi.

Mais à quoi bon ce talent ?

lui.

Vous ne le devinez pas ?

moi.

Non, je suis un peu borné.

lui.

Supposez la dispute engagée et la victoire incertaine ; je me lève, et déployant mon tonnerre, je dis : « Cela est comme mademoiselle l’assure… c’est là ce qui s’appelle juger ! Je le donne en cent à tous nos beaux esprits. L’expression est de génie. » Mais il ne faut pas toujours approuver de la même manière ; on serait monotone, on aurait l’air faux, on deviendrait insipide. On ne se sauve de là que par du jugement, de la fécondité ; il faut savoir préparer et placer ses tons majeurs et péremptoires, saisir l’occasion et le moment. Lors, par exemple, qu’il y a partage entre les sentiments, que la dispute s’est élevée à son dernier degré de violence, qu’on ne s’entend plus, que tous parlent à la fois, il faut être placé à l’écart, dans l’angle de l’appartement le plus éloigné du champ de bataille, avoir préparé son explosion par un long silence,

  1. Baculard d’Arnaud ou Darnaud-Baculard, l’auteur des Délassements de l’homme sensible ; parasite jusqu’à sa mort.