Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/502

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Le voisinage et l’infortune lièrent Pisistrate et Stérope. Pisistrate n’avait pas encore passé l’âge d’aimer ; Stérope y touchait à peine ; mais Stérope promettait tous les jours à la cendre de Chéréfonte, son époux, de lui rester fidèle ; et tous les jours Pisistrate faisait le même serment à la cendre de Sostrate sa femme.

Bientôt les deux familles n’en furent plus qu’une. Pisistrate regarda la fille de Stérope comme la sienne, et Stérope regarda le fils de Pisistrate comme son enfant. Carite et Polydore se donnaient les noms de frère et de sœur ; mais le temps était venu où leurs parents les avaient destinés à en prendre de plus doux.

Tandis que Pisistrate s’était occupé à instruire Polydore, Stérope avait employé quelques instants à écrire l’histoire de ses amours avec son époux Chéréfonte. Quelquefois elle s’enfonçait dans l’épaisseur des forêts pour la relire.

Un jour qu’elle se croyait seule, le hasard conduisit auprès d’elle Polydore et Carite. Stérope en était à l’endroit de son récit où Chéréfonte la conduisit à l’autel. Les enfants reconnurent la voix de leur mère ; ils s’arrêtèrent de concert et ils écoutèrent en silence. Stérope peignait l’état de son âme dans cet instant solennel, et dans les instants plus doux qui suivirent. Polydore était ému, Carite avait les yeux baissés. Mais les sentiments faisant dans son cœur le même progrès que dans le récit de Stérope, bientôt sa main fut dans celle de Polydore. Stérope continua de lire. Carite rougit. La nuit s’approchait. Carite trembla et s’enfuit ; Polydore la suivit sans rien dire. Depuis ce jour, elle revint au même endroit, mais elle défendait à Polydore de s’y rendre, et Polydore ne s’y rendait pas. Cela est encore simple et beau.

Cependant la guerre se ralluma entre les habitants de la Crète et de l’Attique. Le même Androgée qui avait tué Chéréfonte, l’époux de Stérope, parut sur les murs d’Athènes et cette ville infortunée fut contrainte en peu de temps à accepter une paix honteuse.

C’était le lendemain des fêtes de Neptune. Carite avait attendu ce jour. Polydore l’avait désiré. Pisistrate et Stérope les conduisaient au temple pour les unir, lorsqu’on entend tout à coup le son d’une trompette funèbre. Des soldats arri-