Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/64

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— Ce n’est pas tout, me dit la supérieure, jurez-moi, par la sainte obéissance, que vous ne parlerez jamais de ce qui s’est passé.

— Ce que vous avez fait est donc bien mal, puisque vous exigez de moi par serment que j’en garderai le silence. Personne n’en saura jamais rien que votre conscience, je vous le jure.

— Vous le jurez ?

— Oui, je vous le jure. »

Cela fait, elles me dépouillèrent des vêtements qu’elles m’avaient donnés, et me laissèrent me rhabiller des miens.


J’avais pris de l’humidité ; j’étais dans une circonstance critique ; j’avais tout le corps meurtri ; depuis plusieurs jours je n’avais pris que quelques gouttes d’eau avec un peu de pain. Je crus que cette persécution serait la dernière que j’aurais à souffrir. C’est par l’effet momentané de ces secousses violentes qui montrent combien la nature a de force dans les jeunes personnes, que je revins en très-peu de temps ; et je trouvai, quand je reparus, toute la communauté persuadée que j’avais été malade. Je repris les exercices de la maison et ma place à l’église. Je n’avais pas oublié mon papier, ni la jeune sœur à qui je l’avais confié ; j’étais sûre qu’elle n’avait point abusé de ce dépôt, mais qu’elle ne l’avait pas gardé sans inquiétude. Quelques jours après ma sortie de prison, au chœur, au moment même où je le lui avais donné, c’est-à-dire lorsque nous nous mettons à genoux et qu’inclinées les unes vers les autres nous disparaissons dans nos stalles, je me sentis tirer doucement par ma robe ; je tendis la main, et l’on me donna un billet qui ne contenait que ces mots : « Combien vous m’avez inquiétée ! Et ce cruel papier, que faut-il que j’en fasse ?… » Après avoir lu celui-ci, je le roulai dans mes mains, et je l’avalai. Tout cela se passait au commencement du carême. Le temps approchait où la curiosité d’entendre appelle à Longchamp la bonne et la mauvaise compagnie de Paris. J’avais la voix très-belle ; j’en avais peu perdu. C’est dans les maisons religieuses qu’on est attentif aux plus petits intérêts ; on eut quelques ménagements pour moi ; je jouis d’un peu plus de liberté ; les sœurs que j’instruisais au chant purent approcher de moi sans conséquence ; celle à qui j’avais confié mon mémoire