Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/72

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— Je n’en ai pas mémoire.

— Et vous imaginez que les hommes vous en croiront ?

— Ils m’en croiront ou non ; mais le fait n’en sera pas moins vrai.

— Chère enfant, si de pareils prétextes étaient écoutés, voyez quels abus il s’ensuivrait ! Vous avez fait une démarche inconsidérée ; vous vous êtes laissé entraîner par un sentiment de vengeance ; vous avez à cœur les châtiments que vous m’avez obligée de vous infliger ; vous avez cru qu’ils suffisaient pour rompre vos vœux ; vous vous êtes trompée, cela ne se peut ni devant les hommes, ni devant Dieu. Songez que le parjure est le plus grand de tous les crimes ; que vous l’avez déjà commis dans votre cœur ; et que vous allez le consommer.

— Je ne serai point parjure, je n’ai rien juré.

— Si l’on a eu quelques torts avec vous, n’ont-ils pas été réparés ?

— Ce ne sont point ces torts qui m’ont déterminée.

— Qu’est-ce donc ?

— Le défaut de vocation, le défaut de liberté dans mes vœux.

— Si vous n’étiez point appelée ; si vous étiez contrainte, que ne le disiez-vous quand il en était temps ?

— Et à quoi cela m’aurait-il servi ?

— Que ne montriez-vous la même fermeté que vous eûtes à Sainte-Marie ?

— Est-ce que la fermeté dépend de nous ? Je fus ferme la première fois ; la seconde, j’étais imbécile.

— Que n’appeliez-vous un homme de loi ? Que ne protestiez-vous ? Vous avez eu les vingt-quatre heures pour constater votre regret.

— Savais-je rien de ces formalités ? Quand je les aurais sues, étais-je en état d’en user ? Quand j’aurais été en état d’en user, l’aurais-je pu ? Quoi ! madame, ne vous êtes-vous pas aperçue vous-même de mon aliénation ? Si je vous prends à témoin, jurerez-vous que j’étais saine d’esprit ?

— Je le jurerai !

— Eh bien ! madame, c’est vous, et non pas moi, qui serez parjure.

— Mon enfant, vous allez faire un éclat inutile. Revenez à