Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/77

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« Mes sœurs, leur dit-elle, je vous invite à vous jeter au pied des autels, et à implorer la miséricorde de Dieu sur une religieuse qu’il a abandonnée, qui a perdu le goût et l’esprit de la religion, et qui est sur le point de se porter à une action sacrilège aux yeux de Dieu, et honteuse aux yeux des hommes. »

Je ne saurais vous peindre la surprise générale ; en un clin d’œil, chacune, sans se remuer, eut parcouru le visage de ses compagnes, cherchant à démêler la coupable à son embarras. Toutes se prosternèrent et prièrent en silence. Au bout d’un espace de temps assez considérable, la prieure entonna à voix basse le Veni, Creator, et toutes continuèrent à voix basse le Veni, Creator ; puis, après un second silence, la prieure frappa sur son pupitre, et l’on sortit.

Je vous laisse à penser le murmure qui s’éleva dans la communauté : « Qui est-ce ? Qui n’est-ce pas ? Qu’a-t-elle fait ? Que veut-elle faire ?… » Ces soupçons ne durèrent pas longtemps. Ma demande commençait à faire du bruit dans le monde ; je recevais des visites sans fin : les uns m’apportaient des reproches, d’autres m’apportaient des conseils ; j’étais approuvée des uns, j’étais blâmée des autres. Je n’avais qu’un moyen de me justifier aux yeux de tous, c’était de les instruire de la conduite de mes parents ; et vous concevez quel ménagement j’avais à garder sur ce point ; il n’y avait que quelques personnes, qui me restèrent sincèrement attachées, et M. Manouri, qui s’était chargé de mon affaire, à qui je pusse m’ouvrir entièrement. Lorsque j’étais effrayée des tourments dont j’étais menacée, ce cachot, où j’avais été traînée une fois, se représentait à mon imagination dans toute son horreur ; je connaissais la fureur des religieuses. Je communiquai mes craintes à M. Manouri ; et il me dit : « Il est impossible de vous éviter toutes sortes de peines : vous en aurez, vous avez dû vous y attendre ; il faut vous armer de patience, et vous soutenir par l’espoir qu’elles finiront. Pour ce cachot, je vous promets que vous n’y rentrerez jamais ; c’est mon affaire… » En effet, quelques jours après il apporta un ordre à la supérieure de me représenter toutes et quantes fois elle en serait requise.

Le lendemain, après l’office, je fus encore recommandée aux prières publiques de la communauté : l’on pria en silence, et l’on dit à voix basse la même hymne que la veille. Même cérémonie