Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/110

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n’en fut rien ; et la pluie de l’orage ayant gonflé le ruisseau qui séparait le faubourg de la ville, au point qu’il eût été dangereux de le passer, tous ceux dont la route conduisait de ce côté prirent le parti de perdre une journée, et d’attendre. Les uns se mirent à causer ; d’autres à aller et venir, à mettre le nez à la porte, à regarder le ciel et à rentrer en jurant et frappant du pied ; plusieurs à politiquer et à boire ; beaucoup à jouer, le reste à fumer, à dormir et à ne rien faire. Le maître dit à Jacques : J’espère que Jacques va reprendre le récit de ses amours, et que le ciel, qui veut que j’aie la satisfaction d’en entendre la fin, nous retient ici par le mauvais temps.

Jacques.

Le ciel qui veut ! On ne sait jamais ce que le ciel veut ou ne veut pas, et il n’en sait peut-être rien lui-même. Mon pauvre capitaine qui n’est plus me l’a répété cent fois ; et plus j’ai vécu, plus j’ai reconnu qu’il avait raison… À vous, mon maître.

Le maître.

J’entends. Tu en étais au carrosse et au valet, à qui la doctoresse a dit d’ouvrir ton rideau et de te parler.

Jacques.

Ce valet s’approche de mon lit, et me dit : « Allons, camarade, debout, habillez-vous et partons. » Je lui répondis d’entre les draps et la couverture dont j’avais la tête enveloppée, sans le voir, sans en être vu : « Camarade, laissez-moi dormir et partez. » Le valet me réplique qu’il a des ordres de son maître, et qu’il faut qu’il les exécute.

« Et votre maître qui ordonne d’un homme qu’il ne connaît pas, a-t-il ordonné de payer ce que je dois ici ?

— C’est une affaire faite. Dépêchez-vous, tout le monde vous attend au château, où je vous réponds que vous serez mieux qu’ici, si la suite répond à la curiosité qu’on a de vous voir. »

Je me laisse persuader ; je me lève, je m’habille, on me prend sous le bras. J’avais fait mes adieux à la doctoresse et j’allais monter en carrosse, lorsque cette femme, s’approchant de moi, me tire par la manche, et me prie de passer dans un coin de la chambre, qu’elle avait un mot à me dire. « Là, notre ami, ajouta-t-elle, vous n’avez point, je crois, à vous plaindre