Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/114

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Le compère.

Ce n’est pas moi qui le veux ; c’est l’homme dur à qui je parle.

L’hôte.

Moi, un homme dur ! Je ne le suis point : je ne le fus jamais ; et tu le sais bien.

Le compère.

Je ne suis plus en état de nourrir ma fille ni mon garçon ; ma fille servira, mon garçon s’engagera.

L’hôte.

Et c’est moi qui en serais la cause ! Cela ne sera pas. Tu es un cruel homme ; tant que je vivrai tu seras mon complice. Çà, voyons ce qu’il te faut.

Le compère.

Il ne me faut rien. Je suis désolé de vous devoir, et je ne vous devrai de ma vie. Vous faites plus de mal par vos injures que de bien par vos services. Si j’avais de l’argent, je vous le jetterais au visage ; mais je n’en ai point. Ma fille deviendra tout ce qu’il plaira à Dieu ; mon garçon se fera tuer s’il le faut ; moi, je mendierai ; mais ce ne sera pas à votre porte. Plus, plus d’obligations à un vilain homme comme vous. Empochez bien l’argent de mes bœufs, de mes chevaux et de mes ustensiles : grand bien vous fasse. Vous êtes né pour faire des ingrats, et je ne veux pas l’être. Adieu.

L’hôte.

Ma femme, il s’en va ; arrête-le donc.

L’hôtesse.

Allons, compère, avisons au moyen de vous secourir.

Le compère.

Je ne veux point de ses secours, ils sont trop chers…

L’hôte répétait tout bas à sa femme : « Ne le laisse pas aller, arrête-le donc. Sa fille à Paris ! son garçon à l’armée ! lui à la porte de la paroisse ! je ne saurais souffrir cela. »

Cependant sa femme faisait des efforts inutiles ; le paysan, qui avait de l’âme, ne voulait rien accepter et se faisait tenir à quatre. L’hôte, les larmes aux yeux, s’adressait à Jacques et à son maître, et leur disait : « Messieurs, tâchez de le fléchir… » Jacques et son maître se mêlèrent de la partie ; tous à la fois