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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/128

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per, jusqu’après le souper, jusqu’au retour de l’hôtesse, si Jacques n’eût dit à son maître : Tenez, monsieur, toutes ces grandes sentences que vous venez de débiter à propos de botte ne valent pas une vieille fable des écraignes[1] de mon village.

Le maître.

Et quelle est cette fable ?

  1. Écraignes ou Escraignes, vieux mot ; veillées de village.

    Voici l’étymologie que donne à ce mot le Seigneur des Accords dans ses Escraignes dijonnoises, Paris, 1588, et à la suite des Bigarrures et Touches, Paris, 1662.

    « La nécessité, dit-il, ceste mère des arts, a appris à de pauvres vignerons, qui n’ont pas le moyen d’acheter du bois pour se deffendre de l’injure de l’hyver, ceste invention de faire en quelque rue escartée un taudis ou bastiment, composé de plusieurs perches fichées en terre en forme ronde, repliées par le dessus et à la sommité ; en telle sorte, qu’elles représentent la testière d’un chapeau, lequel après on recouvre de force motes, gazon et fumier, si bien lié et meslé que l’eau ne le peut pénétrer. Là, ordinairement les après-soupées, s’assemblent les plus belles filles de ces vignerons avec leurs quenouilles et autres ouvrages, et y font la veillée jusques à la minuict : dont elles retirent ceste commodité, que, tour à tour, portant une petite lampe pour s’esclairer et une trape de feu pour eschauffer la place, elles espargnent beaucoup, et travaillent autant de nuict que de jour pour aider à gaigner leur vie, et sont bien deffendües du froid. Quelquefois, s’il fait beau temps, elles vont d’escraigne à autre se visiter, et là font des demandes les unes aux autres. Il a convenu faire ceste description parce que l’architecture ne se trouvera pas en Vitruve ni en Du Cerceau, et semble plutost que ce soit quelque ouvrage d’arondelle (hirondelle) que autrement. Chacun an après l’hyver on la rompt, et au commencement de l’autre hyver on la rebastist. L’on l’appelle une escraigne par dérivation du mot d’escrin qui vaut autant à dire comme un petit coffre : combien que d’autres le dérivent de ce mot latin, scrinium, ce qui est fort vray semblable, d’autant qu’à telles assemblées de filles se trouve une infinité de jeunes varlots et amoureux, que l’on appelle autrement des voüeurs, qui y vont pour descouvrir le secret de leurs pensées à leurs amoureuses. »

    Les Bigarrures et Touches du Seigneur des Accords, l’un des ouvrages les plus originaux du temps, contiennent une foule de contes et de facéties dans le genre de la fable du Coutelet. On a longtemps ignoré le vrai nom de l’auteur : il l’avait cependant révélé par un moyen aussi ingénieux que peu ordinaire. En effet, en réunissant les premières lettres des vingt-deux chapitres dont se compose l’édition de 1572, on trouve ces mots :

    ESTIENNE TABOUROT M’A FAIT.

    C’est à tort que quelques biographes ont avancé que Tabourot (Estienne) était né à Langres, pays de Diderot ; il naquit en 1547 à Dijon, où il devint avocat au parlement ou procureur du roi ; il y mourut en 1590. Ce qui donna lieu à cette méprise, c’est que son oncle Tabourot (Jehan), connu par son Orchésographie, ou Traicté par lequel toutes personnes peuvent facilement apprendre et practiquer l’honneste exercice des dances (Langres, 1589, in-4o), était chanoine et official de Langres, où il mourut en 1596. (Br.)