Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/152

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Madame de La Pommeraye.

Oui, cruel : c’est le mot.

Le marquis.

Quelle vision ! marquise, vous vous moquez. Une jeune fille que je n’ai jamais vue qu’une fois…

Madame de La Pommeraye.

Mais du petit nombre de celles qu’on n’oublie pas quand on les a vues.

Le marquis.

Il est vrai que ces figures-là vous suivent.

Madame de La Pommeraye.

Marquis, prenez garde à vous ; vous vous préparez des chagrins ; et j’aime mieux avoir à vous en garantir que d’avoir à vous en consoler. N’allez pas confondre celle-ci avec celles que vous avez connues : cela ne se ressemble pas ; on ne les tente pas, on ne les séduit pas, on n’en approche pas, elles n’écoutent pas, on n’en vient pas à bout.

Après cette conversation, le marquis se rappela tout à coup qu’il avait une affaire pressée ; il se leva brusquement et sortit soucieux.

Pendant un assez long intervalle de temps, le marquis ne passa presque pas un jour sans voir Mme de La Pommeraye ; mais il arrivait, il s’asseyait, il gardait le silence ; Mme de La Pommeraye parlait seule ; le marquis, au bout d’un quart d’heure, se levait et s’en allait.

Il fit ensuite une éclipse de près d’un mois, après laquelle il reparut ; mais triste, mais mélancolique, mais défait. La marquise, en le voyant, lui dit : « Comme vous voilà fait ! d’où sortez-vous ? Est-ce que vous avez passé tout ce temps en petite maison ?

Le marquis.

Ma foi, à peu près. De désespoir, je me suis précipité dans un libertinage affreux.

Madame de La Pommeraye.

Comment ! de désespoir ?

Le marquis.

Oui, de désespoir… »

Après ce mot, il se mit à se promener en long et en large