Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/179

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avec un étranger ; c’est la marquise du Belloy qui me donna à un de ses cousins, qui s’est ruiné avec les femmes et qui a passé aux îles ; c’est ce cousin-là qui me recommanda à un M. Hérissant, usurier de profession, qui faisait valoir l’argent de M. de Rusai, docteur de Sorbonne, qui me fit entrer chez Mlle Isselin, que vous entreteniez, et qui me plaça chez vous, à qui je devrai un morceau de pain sur mes vieux jours, car vous me l’avez promis si je vous restais attaché : et il n’y a pas d’apparence que nous nous séparions. Jacques a été fait pour vous, et vous fûtes fait pour Jacques.

Le maître.

Mais, Jacques, tu as parcouru bien des maisons en assez peu de temps.

Jacques.

Il est vrai ; on m’a renvoyé quelquefois.

Le maître.

Pourquoi ?

Jacques.

C’est que je suis né bavard, et que tous ces gens-là voulaient qu’on se tût. Ce n’était pas comme vous, qui me remercieriez demain si je me taisais. J’avais tout juste le vice qui vous convenait. Mais qu’est-ce donc qui est arrivé à M. Desglands ? Dites-moi cela, tandis que je m’apprêterai un coup de tisane.

Le maître.

Tu as demeuré dans son château et tu n’as jamais entendu parler de son emplâtre ?

Jacques.

Non.

Le maître.

Cette aventure-là sera pour la route ; l’autre est courte. Il avait fait sa fortune au jeu. Il s’attacha à une femme que tu auras pu voir dans son château, femme d’esprit, mais sérieuse, taciturne, originale et dure. Cette femme lui dit un jour : « Ou vous m’aimez mieux que le jeu, et en ce cas donnez-moi votre parole d’honneur que vous ne jouerez jamais ; ou vous aimez mieux le jeu que moi, et en ce cas ne me parlez plus de votre passion, et jouez tant qu’il vous plaira… » Desglands donna sa parole d’honneur qu’il ne jouerait plus. — Ni gros ni petit jeu ? — Ni gros ni petit jeu. Il y avait environ dix ans qu’ils