Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/191

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pourtant pas vrai. Il se conduisait à peu près comme vous et moi. Il remerciait son bienfaiteur, pour qu’il lui fît encore du bien. Il se mettait en colère contre l’homme injuste ; et quand on lui objectait qu’il ressemblait alors au chien qui mord la pierre qui l’a frappé : « Nenni, disait-il, la pierre mordue par le chien ne se corrige pas ; l’homme injuste est modifié par le bâton. » Souvent il était inconséquent comme vous et moi, et sujet à oublier ses principes, excepté dans quelques circonstances où sa philosophie le dominait évidemment ; c’était alors qu’il disait : « Il fallait que cela fût, car cela était écrit là-haut. » Il tâchait à prévenir le mal ; il était prudent avec le plus grand mépris pour la prudence. Lorsque l’accident était arrivé, il en revenait à son refrain ; et il était consolé. Du reste, bon homme, franc, honnête, brave, attaché, fidèle, très têtu, encore plus bavard, et affligé comme vous et moi d’avoir commencé l’histoire de ses amours sans presque aucun espoir de la finir. Ainsi je vous conseille, lecteur, de prendre votre parti ; et au défaut des amours de Jacques, de vous accommoder des aventures du secrétaire du marquis des Arcis. D’ailleurs, je le vois, ce pauvre Jacques, le cou entortillé d’un large mouchoir ; sa gourde, ci-devant pleine de bon vin, ne contenant que de la tisane ; toussant, jurant contre l’hôtesse qu’ils ont quittée, et contre son vin de Champagne, ce qu’il ne ferait pas s’il se ressouvenait que tout est écrit là-haut, même son rhume.

Et puis, lecteur, toujours des contes d’amour ; un, deux, trois, quatre contes d’amour que je vous ai faits ; trois ou quatre autres contes d’amour qui vous reviennent encore : ce sont beaucoup de contes d’amour. Il est vrai d’un autre côté que, puisqu’on écrit pour vous, il faut ou se passer de votre applaudissement, ou vous servir à votre goût, et que vous l’avez bien décidé pour les contes d’amour. Toutes vos nouvelles en vers ou en prose sont des contes d’amour ; presque tous vos poèmes, élégies, églogues, idylles, chansons, épîtres, comédies, tragédies, opéras, sont des contes d’amour. Presque toutes vos peintures et vos sculptures ne sont que des contes d’amour. Vous êtes aux contes d’amour pour toute nourriture depuis que vous existez, et vous ne vous en lassez point. L’on vous tient à ce régime et l’on vous y tiendra longtemps encore, hommes et femmes, grands et petits enfants, sans que vous vous en las-