Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/289

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— Moi ?

— Oui.

— Et comment est-ce que cela m’est arrivé ?… »

Au lieu de me répondre, elle tourna les yeux sur les jarretières.

« Eh quoi ! lui dis-je, c’est cela qui vous a fait pleurer ?

— Oui.

— Eh ! Denise, ne pleurez plus, c’est pour vous que je les ai achetées.

— Monsieur Jacques, dites-vous bien vrai ?

— Très vrai ; si vrai, que les voilà. » En même temps je les lui présentai toutes deux, mais j’en retins une ; à l’instant il s’échappa un sourire à travers ses larmes. Je la pris par le bras, je l’approchai de mon lit, je pris un de ses pieds que je mis sur le bord ; je relevai ses jupons jusqu’à son genou, où elle les tenait serrés avec ses deux mains ; je baisai sa jambe, j’y attachai la jarretière que j’avais retenue ; et à peine était-elle attachée, que Jeanne sa mère entra.

Le maître.

Voilà une fâcheuse visite.

Jacques.

Peut-être que oui, peut-être que non.

Au lieu de s’apercevoir de notre trouble, elle ne vit que la jarretière que sa fille avait entre ses mains. « Voilà une jolie jarretière, dit-elle : mais où est l’autre ?

— À ma jambe, lui répondit Denise. Il m’a dit qu’il les avait achetées pour son amoureuse, et j’ai jugé que c’était pour moi. N’est-il pas vrai, maman, que puisque j’en ai mis une, il faut que je garde l’autre ?

— Ah ! monsieur Jacques, Denise a raison, une jarretière ne va pas sans l’autre, et vous ne voudriez pas lui reprendre ce qu’elle a.

— Pourquoi non ?

— C’est que Denise ne le voudrait pas, ni moi non plus.

— Mais arrangeons-nous, je lui attacherai l’autre en votre présence.

— Non, non, cela ne se peut pas.

— Qu’elle me les rende donc toutes deux.

— Cela ne se peut pas non plus. »