Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/295

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en tremblant ; Jacques lui dit qu’il n’avait pas fermé l’œil, qu’il avait souffert, et qu’il souffrait encore d’une démangeaison cruelle à son genou. Denise s’offrit à le soulager ; elle prit une petite pièce de flanelle ; Jacques mit sa jambe hors du lit, et Denise se mit à frotter avec sa flanelle au dessous de la blessure, d’abord avec un doigt, puis avec deux, avec trois, avec quatre, avec toute la main. Jacques la regardait faire, et s’enivrait d’amour. Puis Denise se mit à frotter avec sa flanelle sur la blessure même, dont la cicatrice était encore rouge, d’abord avec un doigt, ensuite avec deux, avec trois, avec quatre, avec toute la main. Mais ce n’était pas assez d’avoir éteint la démangeaison au-dessous du genou, sur le genou, il fallait encore l’éteindre au-dessus, où elle ne se faisait sentir que plus vivement. Denise posa sa flanelle au dessus du genou, et se mit à frotter là assez fermement d’abord avec un doigt, avec deux, avec trois, avec quatre, avec toute la main. La passion de Jacques, qui n’avait cessé de la regarder, s’accrut à un tel point, que, n’y pouvant plus résister, il se précipita sur la main de Denise… et la baisa[1].

Mais ce qui ne laisse aucun doute sur le plagiat c’est ce qui suit. Le plagiaire ajoute : « Si vous n’êtes pas satisfait de ce que je vous révèle des amours de Jacques, lecteur, faites mieux, j’y consens. De quelque manière que vous vous y preniez, je suis sûr que vous finirez comme moi. — Tu te trompes, insigne calomniateur, je ne finirai point comme toi. Denise fut sage. — Et qui est ce qui vous dit le contraire ? Jacques se précipita sur sa main, et la baisa, sa main. C’est vous qui avez l’esprit corrompu, et qui entendez ce qu’on ne vous dit pas — Eh bien ! il ne baisa donc que sa main ? — Certainement : Jacques avait trop de sens pour abuser de celle dont il voulait faire sa femme, et se préparer une méfiance qui aurait pu empoisonner le reste de sa vie. — Mais il est dit, dans le paragraphe qui précède, que Jacques avait mis tout en œuvre pour déterminer Denise à le rendre heureux. — C’est qu’apparemment il n’en voulait pas encore faire sa femme.

Le troisième paragraphe nous montre Jacques, notre pauvre

  1. Comparer avec le chapitre CCLXXII de Tristram Shandy, un peu long pour être mis en note, et qui est beaucoup plus libre, à notre avis.