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LE ZINZOLIN


JEU FRIVOLE ET MORAL[1]


Brochure in-12


1769


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Un homme moitié fou, moitié imbécile, invente un jeu de cartes. Il donne aux différents accidents, aux différentes règles de son jeu, des noms usités dans la langue ; ensuite, sous prétexte de relever l’importance de son invention, il fait autant de dissertations qu’il y a de ces noms employés dans son jeu. Voilà ce que c’est que le Zinzolin de M. Luneau de Boisjermain. Encore s’il y avait de la satire, de la gaieté, de l’originalité, on en pardonnerait le plan bizarre ; mais cela est obscur, entortillé, plat et maussade. Je vous ai ouï dire, mon ami, une chose bien vraie ; c’est qu’il y avait telle extraordinaire bêtise d’après laquelle on pouvait calculer la population d’une ville, l’immensité d’une société où cette bêtise avait été dite. Pourriez-vous me dire, homme sublime, combien il faut de temps et de collections de mauvaises têtes pour la production possible d’un ouvrage aussi ridicule que celui-ci ? Ô raison ! ô sens commun ! ô qualités rares ! plus je lis et plus je vous respecte… Mais comment un pareil auteur trouve-t-il à se faire imprimer ?… C’est que depuis que je me suis fait de pauvre auteur riche libraire[2], je sais, répond M. Luneau de Boisjermain, qu’il n’y a si mauvais livre dont on ne vende un mille en trois mois… Le monde est donc bien bête !… Non pas bien, mais un peu. Et puis beaucoup d’ennui, de curiosité et d’argent, sans compter l’étranger et les colonies. Un vaurien qui a forfait dans la

  1. Public sous le nom de Toustain, marquis de Limery.
  2. C’est à ce titre que Luneau de Boisjermain intenta un procès aux éditeurs de l’Encyclopédie.