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FRAGMENTS ÉCHAPPÉS


DU


PORTEFEUILLE D’UN PHILOSOPHE[1]


1772


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Vous dites qu’il y a une morale universelle, et je veux bien en convenir ; mais cette morale universelle ne peut être l’effet d’une cause locale et particulière. Elle a été la même dans tous les temps passés, elle sera la même dans tous les siècles à venir ; elle ne peut donc avoir pour base les opinions religieuses, qui, depuis l’origine du monde, et d’un pôle à l’autre, ont toujours varié. Les Grecs ont eu des dieux méchants, les Romains ont eu des dieux méchants ; nous avons un Dieu bon ou méchant, selon la tête de celui qui y croit ; l’adorateur stupide du fétiche, adore plutôt un diable qu’un dieu ; cependant ils ont tous eu les mêmes idées de la justice, de la bonté, de la commisération, de l’amitié, de la fidélité, de la reconnaissance, de l’ingratitude, de tous les vices, de toutes les vertus. Où chercherons-nous l’origine de cette unanimité de jugement si constante et si générale au milieu d’opinions contradictoires et passagères ? Où nous la chercherons ? Dans une cause physique, constante et éternelle. Et où est cette cause ? Elle est dans l’homme même, dans la similitude d’organisation d’un homme à un autre, similitude d’organisation qui entraîne celle des mêmes besoins, des mêmes plaisirs, des mêmes peines, de la même force, de la même faiblesse ; source de la nécessité de la société, ou d’une lutte commune et concertée contre des dangers communs, et

  1. Ces pensées ne sont point dans les œuvres de Diderot. (Note des éditeurs du Supplément à la Correspondance de Grimm ; morceaux retranchés par la censure impériale.) — Elles auraient dû être placées dans les Miscellanea philosophiques : nous réparons un oubli en les reproduisant ici.