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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/459

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Il y a dans toute administration bien entendue deux parties très-distinctes à considérer, l’une relative à la masse des individus qui composent une société, comme la sûreté générale et la tranquillité intérieure, le soin des armées, l’entretien des forteresses, l’observation des lois ; c’est une pure affaire de police. Sous ce point de vue, tout gouvernement a et doit avoir la forme et la rigidité monastiques ; le souverain, ou celui qui le représente, est un supérieur de couvent. Mais dans un monastère tout est à tous, rien n’est individuellement à personne, tous les biens forment une propriété commune ; c’est un seul animal à vingt, trente, quarante, mille, dix mille têtes. Il n’en est pas ainsi d’une société civile ou politique : ici chacun a sa tête et sa propriété, une portion de la richesse générale dont il est maître et maître absolu, sur laquelle il est roi, et dont il peut user ou même abuser à discrétion. Il faut qu’un particulier puisse laisser sa terre en friche, si cela lui convient, sans que ni l’administration ni la police s’en mêle. Si le maître se constitue juge de l’abus, il ne tardera pas à se constituer juge de l’us, et toute véritable notion de propriété et de liberté sera détruite. S’il peut exiger que j’emploie ma chose à sa fantaisie, s’il inflige des peines à la contravention, à la négligence, à la folie, et cela sous prétexte de l’utilité générale et publique, je ne suis plus maître absolu de ma chose, je n’en suis que l’administrateur au gré d’un autre. Il faut abandonner à l’homme en société la liberté d’être un mauvais citoyen en ce point, parce qu’il ne tardera pas à en être sévèrement puni par la misère, et par le mépris plus cruel encore que la misère. Celui qui brûle sa denrée, ou qui jette son argent par la fenêtre, est un stupide trop rare pour qu’on doive le lier par des lois prohibitives ; et ces lois prohibitives seraient trop nuisibles par leur atteinte à la notion essentielle et sacrée de la propriété. La partie de police n’est déjà pour le maître qu’une occasion trop fréquente d’abuser du prétexte de l’utilité générale, sans lui donner un second prétexte d’abuser de cette notion par voie d’administration. Partout où vous verrez chez les nations l’autorité souveraine s’étendre au delà de la partie de police, dites qu’elles sont mal gouvernées. Partout où vous verrez cette partie de police exposer le citoyen à une surcharge d’impôts, en sorte qu’il n’y ait aucun réviseur national du livre de recette et de dépense de