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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/465

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nos cités, et il n’est pas rare que des hommes policés les aient quittées pour embrasser la vie sauvage.

L’homme sauvage doit garder un ressentiment profond de l’injure. C’est à son cœur et à sa force qu’il en appelle. Le ressentiment supplée à la loi qui ne le venge pas.

L’homme sauvage ne doit avoir aucune idée de la pudeur qui rougit de l’ouvrage de la nature.

L’homme sauvage connaît peu la générosité et les autres vertus produites à la longue, chez les nations policées, par le raffinement de la morale.

L’homme sauvage, dont la vie est ou fatigante ou insipide, et les idées très-bornées, doit faire peu de cas de la vie, et moins encore de la mort.

L’homme sauvage ignorant et peureux doit avoir sa superstition.

L’homme sauvage qui reçoit un bienfait de son égal qui ne lui doit rien, doit en être très-reconnaissant.

Le baron de Dieskau fait emporter un sauvage qui était resté blessé sur le champ de bataille ; il le fait soigner. Le sauvage guérit. « Tu peux à présent, lui dit son bienfaiteur, aller retrouver les tiens.

— Je te dois la vie, lui répond le sauvage ; je ne te quitte plus. » Ce sauvage le suivit ; il couchait à la porte de sa tente ; il y mourut.

L’homme sauvage doit se soumettre sans peine à la raison, parce qu’il n’est entêté d’aucun préjugé, d’aucun devoir factice.

Des sauvages poursuivis par leurs ennemis, emportaient un vieillard sur leurs épaules. Ce fardeau ralentissait leur fuite. Le vieillard leur dit : « Mes enfants, vous ne me sauverez pas, et je serai la cause de votre perte ; mettez-moi à terre.

— Tu as raison, » lui répondirent-ils, et ils le mirent à terre.

Le fils de Saint-Pierre, gouverneur de Québec, suit une femme sauvage dont il était amoureux. Il en a des enfants. Il passe vingt ans avec elle. Le souvenir de son père et de sa famille lui est rappelé, ou lui revient. Il s’attriste. Sa femme s’en aperçoit, et lui dit : « Qu’as-tu ?

— Mon père, ma mère, lui répond Saint-Pierre en soupirant.