Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VI.djvu/66

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Jacques.

J’y rêverais le reste de ma vie, que je ne le devinerais pas ; j’en aurais pour jusqu’au jugement dernier.

Le maître.

Jacques, il m’a paru que vous m’écoutiez avec attention tandis que je lisais.

Jacques.

Est-ce qu’on peut la refuser au ridicule ?

Le maître.

Fort bien, Jacques !

Jacques.

Peu s’en est fallu que je n’aie éclaté à l’endroit des bienséances rigoureuses qui me gênaient pendant la vie de mon capitaine, et dont j’avais été affranchi par sa mort.

Le maître.

Fort bien, Jacques ! J’ai donc fait ce que je m’étais proposé. Dites-moi s’il était possible de s’y prendre mieux pour vous consoler. Vous pleuriez : si je vous avais entretenu de l’objet de votre douleur, qu’en serait-il arrivé ? Que vous eussiez pleuré bien davantage, et que j’aurais achevé de vous désoler. Je vous ai donné le change, et par le ridicule de mon oraison funèbre, et par la petite querelle qui s’en est suivie. À présent, convenez que la pensée de votre capitaine est aussi loin de vous que le char funèbre qui le mène à son dernier domicile. Partant, je pense que vous pouvez reprendre l’histoire de vos amours.

Jacques.

Je le pense aussi.

« Docteur, dis-je au chirurgien, demeurez-vous loin d’ici ?

— À un quart de lieue au moins.

— Êtes-vous un peu commodément logé ?

— Assez commodément.

— Pourriez-vous disposer d’un lit ?

— Non.

— Quoi ! pas même en payant, en payant bien ?

— Oh ! en payant et en payant bien, pardonnez-moi. Mais, l’ami, vous ne me paraissez guère en état de payer, et moins encore de bien payer.

— C’est mon affaire. Et serais-je un peu soigné chez vous ?

— Très bien. J’ai ma femme qui a gardé des malades toute