Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/182

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aux archives du Théâtre-Français, nous ne savons pas quel fut l’empressement du public, mais la pièce fut jouée sept fois, d’abord seule, puis, suivant l’usage, avec une autre, et ne fut interrompue que par les vacances de Pâques.

Depuis qu’il était bruit de cette représentation prochaine, Voltaire ne cessait d’écrire à Paris :

À Thiriot : « Mille remercîments. Encore une fois joue-t-on Tancrède ? joue-t-on le Père de famille ? Ô mon cher frère Diderot ! je vous cède la place de tout mon cœur, et je voudrais vous couronner de lauriers. »

À d’Argental : « … Mais que mes anges ne m’instruisent ni de la santé de Mlle Clairon, ni d’aucune particularité du Tripot[1], ni du retour de M. de Richelieu, ni de la façon dont certaine Épître dédicatoire (celle de Tancrède) a été reçue, ni de l’unique représentation de la Chevalerie, ni du Père de famille, c’est le comble du malheur ! »

À Damilaville : « Je salue tendrement les frères, j’élève mon cœur à eux et je prie Dieu pour le succès du Père de famille. »

La pièce une fois jouée, Diderot ne pouvait manquer de répondre à un tel empressement, vrai ou simulé. Il écrivit donc à Voltaire une lettre qui a été conservée. Nous n’avons pas la réponse de Voltaire ; mais dans ses lettres à d’autres personnes, il revient souvent sur ce thème : « Je regarde le succès du Père de famille comme une victoire que la vertu a remportée et comme une amende honorable que le public a faite d’avoir souffert l’infâme satire intitulée la Comédie des Philosophes.

« Je remercie tendrement M. Diderot de m’avoir instruit d’un succès auquel tous les honnêtes gens doivent s’intéresser. Je lui en suis d’autant plus obligé, que je sais qu’il n’aime guère à écrire. Ce n’est que par excès d’humanité qu’il a oublié sa paresse avec moi, il a senti le plaisir qu’il me faisait. » (À Damilaville, 3 mars 1761.)

C’est alors aussi qu’il annonce à Mme d’Épinay le succès de la pièce à Lyon et qu’il écrit à Damilaville (27 février) :

« Enivré du succès du Père de famille, je crois qu’il faut tout tenter, à la première occasion, pour mettre M. Diderot de l’Académie ; c’est toujours une espèce de rempart contre les fanatiques et les fripons. »

Ce vœu, comme on le sait, ne fut point réalisé ; Louis XV trouva que Diderot avait trop d’ennemis ; mais nous n’en devons pas moins savoir gré à Voltaire d’y avoir pensé le premier, avant Diderot lui-même.

La pièce fut reprise en 1769. Diderot l’annonce à Mlle Voland avec un enthousiasme tel qu’on croirait qu’il a perdu le souvenir des premières représentations (lettres du 23 août et du 2 septembre 1769). Les comédiens ont été forcés par les demandes du parterre de jouer la pièce

  1. La Comédie-Française.