Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/190

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Mes enfants sont moins à moi peut-être par le don que je leur ai fait de la vie, qu’à la femme mercenaire qui les allaita. C’est en prenant le soin de leur éducation, que je les revendiquerai sur elle. C’est l’éducation qui fondera leur reconnaissance et mon autorité. Je les élèverai donc.

Je ne les abandonnerai point sans réserve à l’étranger, ni au subalterne. Comment l’étranger y prendrait-il le même intérêt que moi ? Comment le subalterne en serait-il écouté comme moi ? Si ceux que j’aurai constitués les censeurs de la conduite de mon fils se disaient au dedans d’eux-mêmes : « Aujourd’hui mon disciple, demain il sera mon maître, » ils exagéreraient le peu de bien qu’il ferait ; s’il faisait le mal, ils l’en reprendraient mollement, et ils deviendraient ainsi ses adulateurs les plus dangereux.

Il serait à souhaiter qu’un enfant fût élevé par son supérieur ; et le mien n’a de supérieur que moi.

C’est à moi à lui inspirer le libre exercice de sa raison, si je veux que son âme ne se remplisse pas d’erreurs et de terreurs, telles que l’homme s’en faisait à lui-même sous un état de nature imbécile et sauvage.

Le mensonge est toujours nuisible. Une erreur d’esprit suffit pour corrompre le goût et la morale. Avec une seule idée fausse, on peut devenir barbare ; on arrache les pinceaux de la main du peintre, on brise le chef-d’œuvre du statuaire, on brûle un ouvrage de génie, on se fait une âme petite et cruelle ; le sentiment de la haine s’étend, celui de la bienveillance se resserre ; on vit en transe, et l’on craint de mourir. Les vues étroites d’un instituteur pusillanime ne réduiront pas mon fils dans cet état, si je puis.

Après le libre exercice de sa raison, un autre principe, que je ne cesserai de lui recommander, c’est la sincérité avec soi-même. Tranquille alors sur les préjugés auxquels notre faiblesse nous expose, le voile tomberait tout à coup, et un trait de lumière lui montrerait tout l’édifice de ses idées renversé, qu’il dirait froidement : « Ce que je croyais vrai était faux ; ce que j’aimais comme bon était mauvais ; ce que j’admirais comme beau était difforme ; mais il n’a pas dépendu de moi de voir autrement. »

Si la conduite de l’homme peut avoir une base solide dans la considération générale, sans laquelle on ne se résout point à