Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/233

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Le Père de famille.

Quelle différence d’un amant à un époux ! d’une femme à une maîtresse ! Homme sans expérience, tu ne sais pas cela.

Saint-Albin.

J’espère l’ignorer toujours.

Le Père de famille.

Y a-t-il un amant qui voie sa maîtresse avec d’autres yeux, et qui parle autrement ?

Saint-Albin.

Vous avez vu Sophie !… Si je la quitte pour un rang, des dignités, des espérances, des préjugés, je ne mériterai pas de la connaître. Mon père, mépriseriez-vous assez votre fils pour le croire ?

Le Père de famille.

Elle ne s’est point avilie en cédant à votre passion : imitez-la.

Saint-Albin.

Je m’avilirais en devenant son époux ?

Le Père de famille.

Interrogez le monde.

Saint-Albin.

Dans les choses indifférentes, je prendrai le monde comme il est ; mais quand il s’agira du bonheur ou du malheur de ma vie, du choix d’une compagne…

Le Père de famille.

Vous ne changerez pas ses idées. Conformez-vous-y donc.

Saint-Albin.

Ils auront tout renversé, tout gâté, subordonné la nature à leurs misérables conventions, et j’y souscrirai ?

Le Père de famille.

Ou vous en serez méprisé.

Saint-Albin.

Je les fuirai.

Le Père de famille.

Leur mépris vous suivra, et cette femme que vous aurez entraînée ne sera pas moins à plaindre que vous[1]… Vous l’aimez ?

  1. Tout ce passage, depuis : Vous êtes mon père, était supprimé à la représentation.