Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/254

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germeuil.

Rassurez-vous, je suis l’ami de Saint-Albin, et mademoiselle est sa sœur.

sophie, après un moment de silence.

Mademoiselle, que vous dirai-je ? Voyez ma peine ; elle est au-dessus de mes forces… Je suis à vos pieds[1] ; et il faut que j’y meure ou que je vous doive tout… Je suis une infortunée qui cherche un asile… C’est devant votre oncle et votre frère que je fuis… Votre oncle, que je ne connais pas, et que je n’ai jamais offensé ; votre frère… Ah ! ce n’est pas de lui que j’attendais mon chagrin !… Que vais-je devenir, si vous m’abandonnez ?… Ils accompliront sur moi leurs desseins… Secourez-moi, sauvez-moi… sauvez-moi d’eux, sauvez-moi de moi-même. Ils ne savent pas ce que peut oser celle qui craint le déshonneur, et qu’on réduit à la nécessité de haïr la vie… Je n’ai pas cherché mon malheur, et je n’ai rien à me reprocher… Je travaillais, j’avais du pain, et je vivais tranquille… Les jours de la douleur sont venus : ce sont les vôtres qui les ont amenés sur moi ; et je pleurerai toute ma vie, parce qu’ils m’ont connue.

cécile.

Qu’elle me peine !… Oh ! que ceux qui peuvent la tourmenter sont méchants ! (Ici la pitié succède à l’agitation dans le cœur de Cécile. Elle se penche sur le dos d’un fauteuil, du côté de Sophie, et celle-ci continue :)

sophie.

J’ai une mère qui m’aime… Comment reparaîtrais-je devant elle ?… Mademoiselle, conservez une fille à sa mère, je vous en conjure par la vôtre, si vous l’avez encore… Quand je la quittai, elle dit : Anges du ciel, prenez cette enfant sous votre garde, et conduisez-la. Si vous fermez votre cœur à la pitié, le ciel n’aura point entendu sa prière ; et elle en mourra de douleur… Tendez la main à celle qu’on opprime, afin qu’elle vous bénisse toute sa vie…[2] Je ne peux rien ; mais il est un Être qui peut tout, et devant lequel les œuvres de la commisération ne sont pas perdues… Mademoiselle !

cécile s’approche d’elle, et lui tend les mains.

Levez-vous…

  1. Elle se jette aux genoux de Cécile qui la fait rasseoir.
  2. Ce passage, depuis : Quand je la quittai, était supprimé à la représentation.