Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
311
DE LA COMÉDIE SÉRIEUSE.

temps ; voilà qui fera fondre en larmes. L’effet a confirmé mon jugement. Cet épisode est tout à fait dans le genre honnête et sérieux.

« L’exemple d’un épisode heureux ne prouve rien, dira-t-on. Et si nous ne rompez le discours monotone de la vertu, par le haras de quelques caractères ridicules et même un peu forces, comme tous les autres ont fait, quoi que vous disiez du genre honnête et sérieux, je craindrai toujours que vous n’en tiriez que des scènes froides et sans couleur, de la morale ennuyeuse et triste, et des espèces de sermons dialogués. »

Parcourons les parties d’un drame, et voyons. Est-ce par le sujet qu’il en faut juger ? Dans le genre honnête et sérieux, le sujet n’est pas moins important que dans la comédie gaie, et il y est traité d’une manière plus vraie. Est-ce par les caractères ? Ils y peuvent être aussi divers et aussi originaux, et le poète est contraint de les dessiner encore plus fortement. Est-ce par les passions ? Elles s’y montreront d’autant plus énergiques, que l’intérêt sera plus grand. Est-ce par le style ? Il y sera plus nerveux, plus grave, plus élevé, plus violent, plus susceptible de ce que nous appelons le sentiment, qualité sans laquelle aucun style ne parle au cœur. Est-ce par l’absence du ridicule ? Comme si la folie des actions et des discours, lorsqu’ils sont suggérés par un intérêt mal entendu, ou par le transport de la passion, n’était pas le vrai ridicule des hommes et de la vie.

J’en appelle aux beaux endroits de Térence ; et je demande dans quel genre sont écrites ses scènes de pères et d’amants.

Si, dans le Père de famille, je n’ai pas su répondre à l’importance de mon sujet ; si la marche en est froide, les passions discoureuses et moralistes ; si les caractères du Père, de son Fils, de Sophie, du Commandeur, de Germeuil et de Cécile manquent de vigueur comique, sera-ce la faute du genre ou la mienne ?

Que quelqu’un se propose de mettre sur la scène la condition du juge ; qu’il intrigue son sujet d’une manière aussi intéressante qu’il le comporte et que je le conçois ; que l’homme y soit forcé par les fonctions de son état, ou de manquer à la dignité et à la sainteté de son ministère, et de se déshonorer aux yeux des autres et aux siens, ou de s’immoler lui-même dans ses passions, ses goûts, sa fortune, sa naissance, sa femme et ses