Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/507

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m’absenter tant qu’il me plaira. Va lui dire que je ne reviendrai plus.

JARVIS.

Il ne faudrait que ce mot pour la faire mourir.

BEVERLEY.

La faire mourir ! Ce mot ! il serait fâcheux… Elle vivra. Oui, pour me maudire… Je l’ai mérité, bien mérité… Jarvis, elle me hait, n’est-il pas vrai ?… Dis-moi qu’elle me hait.

JARVIS.

Monsieur, permettez qu’on vous console. Oubliez votre peine et venez… Les rues ne sont pas sûres.

BEVERLEY.

Sois prudent, et me laisse… La nuit et ses ténèbres sont faites pour moi… Je vais dormir entre ces pierres. Ce sera mon lit… (Il se couche.) C’est là que je ruminerai mes douleurs, jusqu’à ce que le jour vienne frapper mes yeux, m’inspirer l’effroi et me chasser avec tous les esprits infernaux et tous les méchants tels que moi.

JARVIS.

Mon cher maître, par pitié. Je vous le demande à deux genoux ; quittez cette place ; écartez ces pensées ; laissez la résignation et le courage succéder à l’abattement et au désespoir… Levez-vous, je vous en supplie. Il n’y a pas un des moments que nous passons ici qui ne coûte une larme, un soupir à ma pauvre maîtresse.

BEVERLEY.

Ta pauvre maîtresse, je l’ai perdue… Jarvis, et tu crois qu’elle pense encore à moi ; sa bonté ne serait pas épuisée !… C’est trop… (Il se lève.) je n’y saurais résister… ma tête s’en va… Ô Jarvis, quelle situation que celle d’un malheureux qui n’attend du soulagement que de la mort, ou qui n’en reçoit que du délire !

JARVIS.

Ô Dieu, calme son esprit ; résigne-le à son sort… Monsieur, si ceux qui sont dans l’autre monde ont quelque connaissance de ce qui se passe dans celui-ci, quelle douleur, même dans le ciel, pour ceux d’entre vos parents que Dieu a bénis !… Souffrez que je vous les rappelle et vous conjure… Par le doux res-