Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/268

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que le plus profond mépris pour ce personnage : mais Damon, plein de respect pour sa mère, en usait modérément avec le courtisan. Pour Pythias, il lui rompait ouvertement en visière. Il n’était pas mieux traité par la sœur de Damon. Cette jeune fille était d’un caractère honnête, haut et d’une fierté ironique. La mère de ces deux enfants était malheureuse par le goût de sa fille pour Pythias, l’aversion de cette fille pour le courtisan bel esprit, et l’attachement de son fils à la philosophie et aux philosophes.

Tel était l’état des choses, à cela près que Denys, malgré son penchant à la tyrannie, ne haïssait ni la vertu ni la vérité, et ne dédaignait pas de voir et de converser avec les philosophes, dont il écoutait les conseils, ce qui avait achevé d’indisposer les ministres contre eux. Ils craignaient que ces hommes ne prissent de l’ascendant sur le tyran, ne l’éclairassent et ne nuisissent à leur crédit, à leur intérêt et à leurs vues. Ils empoisonnaient sans cesse dans son esprit les principes, les discours, les ouvrages et la conduite de Pythias et des philosophes.

Le courtisan bel esprit était auprès d’eux bouffon, satellite, espion, délateur. C’est de lui que le ministère se servait pour décrier les philosophes dans le public et auprès de Denys, qui avait aussi la fureur de bel esprit, qui était sans cesse flatté par son courtisan dans son penchant à la tyrannie, à la dissipation, aux plaisirs et aux beaux-arts.

Denys fit un acte de tyrannie, je ne sais pas encore quel ; cet acte souleva tous les habitants de Syracuse. Pythias fut chargé d’aller faire des remontrances au tyran. Il s’en acquitta avec la plus grande force ; il peignit l’injustice de l’acte, la douleur des peuples, la méchanceté des ministres. Mais Denys persista dans son entêtement.

Pythias se laissa entraîner dans une conspiration ; je ne sais si la conspiration sera réelle ou simulée ; ce sera comme il me conviendra. Le courtisan bel esprit fut son accusateur ou son délateur. Pythias fut mis en prison. Tiré de la prison, il parut devant Denys comme un homme qui ne craint ni la tyrannie ni la mort, grand et ferme. Denys, irrité, persécuté par ses ministres, alarmé sur le danger d’un homme aussi ferme, lui fait proposer l’exil ou la mort. Il préfère la mort s’il est coupable.