Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VIII.djvu/402

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qui est-ce qui l’a remplacé et le remplacera dans ce rôle ? Était-il l’homme du Préjuge à la mode ? Non. Cependant avec quelle vérité ne le jouait-il pas ?

LE SECOND

À vous entendre, le grand comédien est tout et n’est rien.

LE PREMIER

Et peut-être est-ce parce qu’il n’est rien qu’il est tout par excellence, sa forme particulière ne contrariant jamais les formes étrangères qu’il doit prendre.

Entre tous ceux qui ont exercé l’utile et belle profession de comédiens ou de prédicateurs laïques, un des hommes les plus honnêtes, un des hommes qui en avaient le plus la physionomie, le ton et le maintien, le frère du Diable boiteux, de Gilblas, du Bachelier de Salamanque, Montménil[1]

LE SECOND

Le fils de Le Sage, père commun de toute cette plaisante famille…

LE PREMIER

Faisait avec un égal succès Ariste dans la Pupille, Tartuffe dans la comédie de ce nom, Mascarille dans les Fourberies de Scapin, l’avocat ou M. Guillaume dans la farce de Patelin.

LE SECOND

Je l’ai vu.

LE PREMIER

Et à votre grand étonnement, il avait le masque de ces différents visages. Ce n’était pas naturellement, car Nature ne lui avait donné que le sien ; il tenait donc les autres de l’art.

Est-ce qu’il y a une sensibilité artificielle ? Mais soit factice, soit innée, la sensibilité n’a pas lieu dans tous les rôles. Quelle est donc la qualité acquise ou naturelle qui constitue le grand acteur dans l’Avare, le Joueur, le Flatteur, le Grondeur, le Médecin malgré lui, l’être le moins sensible et le plus immoral que la poésie ait encore imaginé, le Bourgeois Gentilhomme, le Malade et le Cocu imaginaires ; dans Néron, Mithridate, Atrée,

  1. Voir une note sur Montménil, ou Montmeny, comme on écrivait alors, dans la Lettre sur les sourds-muets, t. I, p. 360. Il en est encore question plus loin.