son action ; s’il s’en tirait bien une fois, il la manquerait mille. Le succès tient alors à si peu de chose !… Ce dernier raisonnement vous paraît peu solide ? Eh bien, soit ; mais je n’en conclurai pas moins de piquer un peu nos ampoules, de rabaisser de quelques crans nos échasses, et de laisser les choses à peu près comme elles sont. Pour un poète de génie qui atteindrait à cette prodigieuse vérité de Nature, il s’élèverait une nuée d’insipides et plats imitateurs. Il n’est pas permis, sous peine d’être insipide, maussade, détestable, de descendre d’une ligne au-dessous de la simplicité de Nature. Ne le pensez-vous pas ?
Je ne pense rien. Je ne vous ai pas entendu.
Quoi ! nous n’avons pas continué de disputer ?
Non.
Et que diable faisiez-vous donc ?
Je rêvais.
Et que rêviez-vous ?
Qu’un acteur anglais appelé, je crois, Macklin (j’étais ce jour-là au spectacle), ayant à s’excuser auprès du parterre de la témérité de jouer après Garrick je ne sais quel rôle dans le Macbeth de Shakespeare[1], disait, entre autres choses, que les impressions qui subjuguaient le comédien et le soumettaient au
- ↑ Le fait rapporté ici peut encore nous fournir une date approximative pour la composition de cet ouvrage. La querelle entre Macklin et Garrick dura plusieurs années, mais ce fut seulement en 1773 que Macklin aborda les rôles de Garrick et notamment celui de Macbeth. Comme il avait été précédemment l’âme d’une cabale contre Garrick, auquel malgré son talent ne furent pas alors épargnés les pommes pourries et les œufs gâtés, Garrick, dit-on, devint à son tour le fauteur d’une cabale contre lui. Moins heureux que son confrère, ou n’ayant pas comme lui à sa disposition une suffisante armée de boxeurs, Macklin dut quitter le théâtre. Ce fut avant de jouer pour la première fois Macbeth qu’il prononça, suivant un usage du théâtre anglais, un discours pour demander l’indulgence du public.