Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vapeur ou de la pierre couverte de mousse. Combien la sainte n’en serait-elle pas plus intéressante et plus pathétique, si la solitude, le silence et l’horreur du désert étaient dans le local ? Cette pelouse est trop verte ; cette herbe trop molle ; cette caverne est plutôt l’asile de deux amants heureux que la retraite d’une femme affligée et pénitente. Belle sainte, venez ; entrons dans cette grotte, et là nous nous rappellerons peut-être quelques moments de votre première vie. Sa tête ne se détache pas assez du fond ; ce bras gauche est vrai, je le crois ; mais la position de la figure le fait paraître petit et maigre. J’ai été tenté de trouver les cuisses et les jambes un peu trop fortes. Si l’on eût rendu la caverne sauvage, et qu’on l’eût couverte d’arbustes, vous conviendrez qu’on n’aurait pas eu besoin de ces deux mauvaises têtes de chérubin qui empêchent que la Madeleine ne soit seule. Ne feraient-elles que cet effet, elles seraient bien mauvaises.

Il y a longtemps que le tableau de notre amie madame Geoffrin, connu sous le nom de la Lecture[1], est jugé pour vous. Pour moi, je trouve que les deux jeunes filles, charmantes à la vérité et d’une physionomie douce et fine, se ressemblent trop d’action, de figure et d’âge. Le jeune homme qui lit a l’air un peu benêt ; on le prendrait pour un robin en habit de masque. Et puis il a la mâchoire épaisse. Il me fallait là une de ces têtes plus rondes qu’ovales, de ces mines vives et animées. On dit que la petite fille qui est à côté de la gouvernante, et qui s’amuse à faire voler un oiseau qu’elle a lié par la patte, est un peu longue ; elle est, à mon gré, un peu trop près de cette femme ; ce qui la fait paraître plaquée contre elle. Quant à la gouvernante qui examine l’impression de la lecture sur ses jeunes élèves, et à qui Van Loo a donné l’air et les traits de sa femme, elle est à merveille : seulement j’aimerais mieux que son attention n’eût pas suspendu son travail. Ces femmes ont tant d’habitude d’épier et de coudre en même temps, que l’un n’empêche pas l’autre. Au reste, malgré les petits défauts que je reprends dans le tableau de la Madeleine et dans celui-ci, ce sont deux morceaux rares. Rien à redire, ni au dessin, ni à la couleur, ni à la disposition des objets. Tout ce que l’art, porté

  1. Tableau de 5 pieds de haut sur 4 de large ; no 5. Mme Geoffrin possédait neuf tableaux de Carle Van Loo.