Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/135

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derrière le saint, le soutient un peu ; et les assistants. La distribution des figures, la couleur, les caractères des têtes, en un mot toute la composition me ferait le plus grand plaisir, si le saint Benoît était comme je le souhaite, et, ce me semble, comme le moment l’exige. C’est un moribond, c’est un homme embrasé de l’amour de son Dieu, qu’il vient recevoir à l’autel malgré la défaillance de ses forces. Je demande s’il est permis au peintre de l’avoir fait aussi droit, aussi ferme sur ses genoux. Je demande si, malgré la pâleur de son visage, on ne lui accorde pas encore plusieurs années de vie. Je demande s’il n’eût pas été mieux que ses jambes se fussent dérobées sous lui ; qu’il eût été soutenu par deux ou trois religieux ; qu’il eût eu les bras un peu étendus, la tête renversée en arrière, avec la mort sur les lèvres et l’extase sur le visage, avec un rayon de sa joie. Mais si le peintre eût donné cette expression forte à son saint Benoît, voyez, mon ami, ce qui en serait rejailli sur le reste ! Ce léger changement dans la principale figure aurait influé sur toutes les autres. Le célébrant, au lieu d’être droit, touché de commisération, se serait incliné davantage ; la peine et la douleur auraient été plus fortes dans tous les assistants. Voilà un morceau de peinture d’après lequel on ferait toucher à l’œil à de jeunes élèves, qu’en altérant une seule circonstance on altère toutes les autres, ou bien la vérité disparaît. On en ferait un excellent chapitre de la force de l’unité ; il faudrait conserver la même ordonnance, les mêmes figures, et proposer d’exécuter le tableau d’après différents changements qu’on ferait dans la figure du communiant.

Le Saint Pierre délivré de la prison[1] est un morceau ordinaire. La tête du saint est belle ; mais on se rappelle le même sujet peint dans un des tableaux placés autour de la nef de Notre-Dame, et l’on sent tout à coup que le peintre de ce dernier a mieux entendu l’effet des ténèbres sur la lumière artificielle. La lumière de Deshays est pâle et blafarde ; celle de son prédécesseur est rougeâtre, obscure, foncée : on y discerne ces masses de corpuscules qui voltigent dans les rayons, et leurs donnent de la forme. Il y a là plus de silence, plus d’effroi, plus de nuit.

  1. Tableau de 11 pieds de haut sur 6 de large ; no 31. Pour Versailles ; gravé par Parizeau.