Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/150

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n’a pas encore saisi l’esprit de sa composition. Dans son tableau, les dieux sont d’une taille commune et les hommes sont gigantesques. Les premiers ne sont que des génies tutélaires. Il a voulu que ses figures fussent aériennes, et cette imagination me paraît de génie ; seulement il ne l’a pas assez fait sentir. Il fallait pour cela donner à ses dieux encore plus de transparence, plus de légèreté, moins de corps et de solidité ; mais en revanche leur chercher un caractère divin, et les mettre dans une activité incroyable, comme on les voit dans le morceau de Bouchardon, où Ulysse évoque l’ombre de Tirésias, et où cette foule de démons étranges accourent à son sacrifice. Vous trouverez dans ces démons à peu près le caractère que Doyen devait donner à ses divinités. Alors plus sa Vénus aurait été aérienne, plus sa Pallas et son Apollon auraient eu de cette nature, plus on aurait été satisfait.

Le peintre a fait sagement de s’écarter ici du poëte. Dans l’Iliade, les hommes sont plus grands que nature ; mais les dieux sont d’une stature immense ; Apollon fait en quatre pas le tour de l’horizon, enjambant de montagne en montagne. Si le peintre eût gardé cette proportion entre ses figures, les hommes auraient été des pygmées et l’ouvrage aurait perdu son intérêt et son effet : c’eût été la querelle des dieux et non celle des hommes ; mais ayant à donner l’avantage de la grandeur à ses héros sur ses dieux, que vouliez-vous que le peintre fît de ceux-ci, sinon des génies, des ombres, des démons ? Ce n’est pas l’idée qui a péché, c’est l’exécution. Il fallait racheter la légèreté, la transparence et la fluidité de ses figures, par une énergie, une étrangeté, une vie tout extraordinaire. En un mot, c’était des démons qu’il fallait faire.

Encore un mot sur ce morceau. C’est que dans l’instant choisi par Doyen, il a fallu donner l’air de la douleur à la déesse du plaisir ; c’est qu’après la blessure de Vénus, Diomède est tranquille, c’est que Vénus est hors de la scène. Il ne fallait pas oublier les chevaux d’Énée ; ils étaient d’origine céleste, et par conséquent une proie importante ; Diomède avait recommandé à son écuyer de s’en emparer s’il sortait victorieux du combat.

Avec tout cela, excepté Deshays, je ne crois pas qu’il y ait un peintre à l’Académie en état de faire ce tableau.