Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/17

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faitement Un ? Or, de là que s’ensuit-il ? ne faut-il pas reconnaître qu’il y a au-dessus de nos esprits une certaine unité originale, souveraine, éternelle, parfaite, qui est la règle essentielle du beau, et que vous cherchez dans la pratique de votre art ? D’où saint Augustin conclut, dans un autre ouvrage, que c’est l’unité qui constitue, pour ainsi dire, la forme et l’essence du beau en tout genre. Omnis porro pulchritudinis forma, unitas est.

M. Wolff dit, dans sa Psychologie[1], qu’il y a des choses qui nous plaisent, et d’autres qui nous déplaisent, et que cette différence est ce qui constitue le beau et le laid ; que ce qui nous plaît s’appelle beau, et que ce qui nous déplaît est laid.

Il ajoute que la beauté consiste dans la perfection, de manière que par la force de cette perfection, la chose qui en est revêtue est propre à produire en nous du plaisir.

Il distingue ensuite deux sortes de beautés, la vraie et l’apparente : la vraie est celle qui naît d’une perfection réelle ; et l’apparente, celle qui naît d’une perfection apparente.

Il est évident que saint Augustin avait été beaucoup plus loin dans la recherche du beau que le philosophe Leibnitzien : celui-ci semble prétendre d’abord qu’une chose est belle, parce qu’elle est belle, comme Platon et saint Augustin l’ont très-bien remarqué. Il est vrai qu’il fait ensuite entrer la perfection dans l’idée de la beauté ; mais qu’est-ce que la perfection ? le parfait est-il plus clair et plus intelligible que le beau ?

Tous ceux qui, se piquant de ne pas parler simplement par coutume et sans réflexion, dit M. Crousaz[2], voudront descendre dans eux-mêmes et faire attention à ce qui s’y passe, à la manière dont ils pensent, et à ce qu’ils sentent lorsqu’ils s’écrient cela est beau, s’apercevront qu’ils expriment par ce terme un certain rapport d’un objet, avec des sentiments agréables ou avec des idées d’approbation, et tomberont d’accord que dire cela est beau, c’est dire, j’aperçois quelque chose que j’approuve ou qui me fait plaisir.

On voit que cette définition de M. Crousaz n’est point prise de la nature du beau, mais de l’effet seulement qu’on éprouve à sa présence ; elle a le même défaut que celle de M. Wolff. C’est

  1. Psychologie, ou Traité de l’âme ; Amsterdam, 1745, in-12.
  2. Traité du Beau, où l’on montre en quoi consiste ce que l’on nomme ainsi. Amsterdam, 1715, 2 vol. in-12.