Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/178

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7. le portrait de l’auteur, accompagné de sa sœur et travaillant au portrait de son père[1].


C’est une très-belle chose. Le peintre occupe le milieu de la toile. Il est assis : il a les jambes croisées et un bras passé sur le dos de son fauteuil ; il se repose. L’ébauche du portrait de son père est devant lui sur un chevalet. Sa sœur est debout derrière son fauteuil. Rien n’est plus simple, plus naturel et plus vrai que cette dernière figure. La robe de chambre de l’artiste fait la soie à merveille. Le bras pendant sur le dos du fauteuil est tout à fait hors de la toile ; il n’y a qu’à l’aller prendre. L’air de famille est on ne peut mieux conservé dans les trois têtes. En tout, le morceau est fait largement et mérite les plus grands éloges ; les têtes sont nobles et grandement touchées.

Avec tout cela, me direz-vous, cruelle comparaison avec Van Dyck pour la vérité, avec Rembrandt pour la force ?

Mais tandis qu’il y a tant de manières différentes d’écrire qui chacune ont leur mérite particulier, n’y aurait-il qu’une seule manière de bien peindre ? Parce qu’Homère est plus impétueux que Virgile, Virgile plus sage et plus nombreux que le Tasse, le Tasse plus intéressant et plus varié que Voltaire, refuserai-je mon juste hommage à celui-ci ? Modernes envieux de vos contemporains, jusques à quand vous acharnerez-vous à les rabaisser par vos éternelles comparaisons avec les Anciens ? N’est-ce pas une façon de juger bien étrange que de ne regarder les Anciens que par leurs beaux côtés, comme vous faites, et que de fermer les yeux sur leurs défauts, et de n’avoir au contraire les yeux ouverts que sur les défauts des modernes et que de les tenir opiniâtrement fermés sur leurs beautés ? Pour louer les auteurs de vos plaisirs, attendrez-vous toujours qu’ils ne soient plus ? À quoi leur sert un éloge qu’ils ne peuvent entendre ?

Je suis toujours fâché que, parmi les superstitions dont on a entêté les hommes, on n’ait jamais pensé à leur persuader qu’ils entendraient sous la tombe le mal ou le bien que nous en dirions.

  1. Tableau de 7 pieds de hauteur sur 5 de largeur.