Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/20

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beau, il est constant qu’il y a dans tous les hommes un sens naturel et propre pour cet objet ; qu’ils s’accordent à trouver de la beauté dans les figures, aussi généralement qu’à éprouver de la douleur à l’approche d’un trop grand feu, ou du plaisir à manger quand ils sont pressés par l’appétit, quoiqu’il y ait entre eux une diversité de goûts infinie.

5º Aussitôt que nous naissons, nos sens externes commencent à s’exercer et à nous transmettre des perceptions des objets sensibles ; et c’est là sans doute ce qui nous persuade qu’ils sont naturels. Mais les objets de ce que j’appelle les sens internes, ou les sens du beau et du bon, ne se présentent pas si tôt à notre esprit. Il se passe du temps avant que les enfants réfléchissent, ou du moins qu’ils donnent des indices de réflexion sur les proportions, ressemblances et symétries, sur les affections et les caractères ; ils ne connaissent qu’un peu tard les choses qui excitent le goût ou la répugnance intérieure ; et c’est là ce qui fait imaginer que ces facultés, que j’appelle les sens internes du beau et du bon, viennent uniquement de l’instruction et de l’éducation. Mais quelque notion qu’on ait de la vertu et de la beauté, un objet vertueux ou bon est une occasion d’approbation et de plaisir, aussi naturellement que des mets sont des objets de notre appétit. Et qu’importe que les premiers objets se soient présentés tôt ou tard ? Si les sens ne se développaient en nous que peu à peu et les uns après les autres, en seraient-ils moins des sens et des facultés ? et serions-nous bien venus à prétendre qu’il n’y a vraiment dans les objets visibles, ni couleur ni figure, parce que nous aurions eu besoin de temps et d’instruction pour les y apercevoir, et qu’il n’y aurait pas entre nous tous deux personnes qui les y apercevraient de la même manière ?

6º On appelle sensations les perceptions qui s’excitent dans notre âme à la présence des objets extérieurs, et par l’impression qu’ils font sur nos organes. (Voyez Sensations.) Et lorsque deux perceptions diffèrent entièrement l’une de l’autre, et qu’elles n’ont de commun que le nom générique de sensation, les facultés par lesquelles nous recevons ces différentes perceptions s’appellent des sens différents. La vue et l’ouïe, par exemple, désignent des facultés différentes dont l’une nous donne les idées de couleur, et l’autre les idées de son ; mais quelque différence que les sons aient entre eux et les couleurs