Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/240

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fixée depuis sur la plupart d’entre eux. On verra qu’en cherchant à donner des idées justes sur leur compte à l’impératrice de Russie (car c’est pour elle que ce travail a été entrepris), l’auteur a souvent jugé comme la postérité. »

Faisons suivre ce premier Avertissement de celui de Naigeon, dans l’édition de 1798 :

« Cette nouvelle édition du Salon de 1765 diffère beaucoup de la première[1]. Sans parler de quelques passages tronqués à dessein dans celle-ci, on n’y trouve point plusieurs articles importants ; d’autres sont incomplets, tels entre autres que celui de Vernet, auquel il manque un très-beau préambule. Enfin l’article de Greuze, si étendu dans l’édition que je publie aujourd’hui, se réduit dans celle de Buisson, à la simple description du tableau de la Jeune Fille qui pleure son oiseau. Voici la raison de ces différences plus ou moins essentielles. Grimm était à Paris le correspondant littéraire de plusieurs princes et princesses du Nord, et il leur envoyait ses feuilles, dont chaque copie était proportionnée, et pour ainsi dire appropriée[2] aux lumières, à l’instruction, au caractère, aux intérêts particuliers, aux préjugés politiques ou religieux, aux petites vues, aux petites passions de ces différentes puissances. Il faut avouer qu’il était assez difficile de ne pas se briser contre quelques-uns de ces écueils ; mais pour marcher sûrement entre ces précipices, Grimm le cauteleux, que certes on n’appellera pas Grimm le philosophe, se conformait à cette maxime, plus digne d’un courtisan que d’un sage[3] auquel on l’attribue, qu’il faut ou ne s’approcher point des rois, ou ne leur dire que des choses qui leur soient agréables. Il envoyait donc à chacune de ses pratiques, pour me servir de son expression, les papiers dont Diderot enrichissait depuis trente ans sa Correspondance. Mais de ces papiers, presque tous le jet heureux du moment, et qui n’en ont souvent que plus de sève, plus de verve et d’originalité, il retranchait tout ce qui lui paraissait trop ferme et trop hardi pour tel ou tel souverain ; trop irréligieux pour celle-ci, trop libre et trop cynique pour celle-là ; trop abstrait et trop profond pour tous. Ici, il changeait et ajoutait un mot ; là, il supprimait une ligne ou même une phrase entière ; ailleurs, il sacrifiait une, deux, trois et quatre pages ; enfin il usait partout du travail de Diderot, comme de son propre

  1. Imprimée chez Buisson, l’an V, nouveau style. (N.) — Nous avons dit que le titre portait cette mention : An quatrième de la République.
  2. Le manuscrit de Buisson était une de ces copies, comme on le voit par les notes que Grimm y avait jointes, pour expliquer certains passages, vel jactandi ingenii. (N.)
  3. Ésope. Voyez Plutarque in Solon. — On peut voir là même la belle réponse de Solon à ce lâche conseil d’Ésope. (N.)