Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/27

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humain, et dans certains états de l’âme ; il n’en a pas fallu davantage, ajoute l’auteur que nous analysons, pour rendre le lion symbole de la fureur ; le tigre, celui de la cruauté ; un chêne droit, et dont la cime orgueilleuse s’élève jusque dans la nue, l’emblème de l’audace ; les mouvements d’une mer agitée, la peinture des agitations de la colère ; et la mollesse de la tige d’un pavot, dont quelques gouttes de pluie ont fait pencher la tête, l’image d’un moribond.

Tel est le système de Hutcheson, qui paraîtra sans doute plus singulier que vrai. Nous ne pouvons cependant trop recommander la lecture de son ouvrage, surtout dans l’original ; on y trouvera un grand nombre d’observations délicates sur la manière d’atteindre la perfection dans la pratique des beaux-arts. Nous allons maintenant exposer les idées du P. André, jésuite. Son Essai sur le beau[1] est le système le plus suivi, le plus étendu et le mieux lié que je connaisse. J’oserais assurer qu’il est dans son genre, ce que le Traité des Beaux-Arts réduits à un seul principe[2] est dans le sien. Ce sont deux bons ouvrages auxquels il n’a manqué qu’un chapitre pour être excellents ; et il en faut savoir d’autant plus mauvais gré à ces deux auteurs de l’avoir omis. M. l’abbé Batteux rappelle tous les principes des beaux-arts à l’imitation de la belle nature ; mais il ne nous apprend point ce que c’est que la belle nature. Le P. André distribue avec beaucoup de sagacité et de philosophie le beau en général dans ses différentes espèces ; il les définit toutes avec précision ; mais on ne trouve la définition du genre, celle du beau en général, dans aucun endroit de son livre, à moins qu’il ne le fasse consister dans l’unité comme saint Augustin. Il parle sans cesse d’ordre, de proportion, d’harmonie, etc. ; mais il ne dit pas un mot de l’origine de ces idées.

Le P. André distingue les notions générales de l’esprit pur, qui nous donnent les règles éternelles du beau ; les jugements naturels de l’âme où le sentiment se mêle avec les idées purement spirituelles, mais sans les détruire ; et les préjugés de l’éducation et de la coutume, qui semblent quelquefois les renverser les uns et les autres. Il distribue son ouvrage en quatre chapitres. Le premier est du beau visible ; le second, du beau

  1. La première édition parut en 1741. Il y en a eu plusieurs autres.
  2. Par l’abbé Batteux. (Voir la Lettre sur les Sourds et Muets, t. I.)