Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/407

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part d’une vision assez étrange, dont je fus tourmenté la nuit qui suivit un jour dont j’avais passé la matinée à voir des tableaux, et la soirée à lire quelques Dialogues de Platon.


L’antre de Platon.


Il me sembla que j’étais renfermé dans le lieu qu’on appelle l’antre de ce philosophe. C’était une longue caverne obscure. J’y étais assis parmi une multitude d’hommes, de femmes et d’enfants. Nous avions tous les pieds et les mains enchaînés ; et la tête si bien prise entre des éclisses de bois, qu’il nous était impossible de la tourner. Mais ce qui m’étonnait, c’est que la plupart de mes compagnons de prison buvaient, riaient, chantaient, sans paraître gênés de leurs chaînes, et que vous eussiez dit à les voir que c’était leur état naturel et qu’ils n’en désiraient pas d’autre. Il me semblait même qu’on regardait de mauvais œil ceux qui faisaient quelque effort pour recouvrer la liberté de leurs pieds, de leurs mains et de leurs têtes ou qui voulaient en procurer l’usage aux autres ; qu’on les désignait par des noms odieux ; qu’on s’éloignait d’eux, comme s’ils eussent été infectés d’un mal contagieux ; et que, lorsqu’il arrivait quelque désastre dans la caverne, on ne manquait jamais de les en accuser. Équipés comme je viens de vous le dire, nous avions tous le dos tourné à l’entrée de cette demeure, et nous n’en pouvions regarder que le fond, qui était tapissé d’une toile immense.

Par derrière nous, il y avait des rois, des ministres, des prêtres, des docteurs, des apôtres, des prophètes, des théologiens, des politiques, des fripons, des charlatans, des artisans d’illusions, et toute la troupe des marchands d’espérances et de craintes. Chacun d’eux avait une provision de petites figures transparentes et colorées, propres à son état ; et toutes ces figures étaient si bien faites, si bien peintes, en si grand nombre et si variées, qu’il y en avait de quoi fournir à la représentation de toutes les scènes comiques, tragiques et burlesques de la vie.

Ces charlatans, comme je le vis ensuite, placés entre nous et l’entrée de la caverne, avaient par derrière eux une grande lampe suspendue, à la lumière de laquelle ils exposaient leurs