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ESSAI SUR LA PEINTURE.


CHAPITRE III.


Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur.

Le clair-obscur est la juste distribution des ombres et de la lumière. Problème simple et facile, lorsqu’il n’y a qu’un objet régulier ou qu’un point lumineux ; mais problème dont la difficulté s’accroît à mesure que les formes de l’objet sont variées ; à mesure que la scène s’étend, que les êtres s’y multiplient, que la lumière y arrive de plusieurs endroits, et que les lumières sont diverses. Ah ! mon ami, combien d’ombres et de lumières fausses dans une composition un peu compliquée ! combien de licences prises ! en combien d’endroits la vérité sacrifiée à l’effet !

On appelle un effet de lumière, en peinture, ce que vous avez vu dans le tableau de Corésus[1] un mélange des ombres et de la lumière, vrai, fort et piquant : moment poétique, qui vous arrête et vous étonne. Chose difficile, sans doute, mais moins peut-être qu’une distribution graduée, qui éclairerait la scène d’une manière diffuse et large, et où la quantité de lumière serait accordée à chaque point de la toile, eu égard à sa véritable exposition et à sa véritable distance du corps lumineux : quantité que les objets environnants font varier en cent manières diverses, plus ou moins sensibles, selon les pertes et les emprunts qu’ils occasionnent.

Rien de plus rare que l’unité de lumière dans une composition, surtout chez les paysagistes. Ici, c’est du soleil ; là, de la lune ; ailleurs, une lampe, un flambeau, ou quelque autre corps enflammé. Vice commun, mais difficile à discerner. Il y a aussi des caricatures d’ombres et de lumières, et toute caricature est de mauvais goût.

Si, dans un tableau, la vérité des lumières se joint à celle de la couleur, tout est pardonné, du moins dans le premier instant. Incorrections de dessin, manque d’expression, pauvreté

  1. Voyez ci-dessus, article Fragonaud.