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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, X.djvu/491

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ESSAI SUR LA PEINTURE.

quand la distance est telle qu’à cette distance les caractères qui individualisent les êtres ne se font plus distinguer, qu’on prendrait, par exemple, un loup pour un chien, ou un chien pour un loup, il ne faut plus en mettre. Voilà peut-être un cas où il ne faut plus peindre la nature.

Tous les possibles ne doivent point avoir lieu en bonne peinture ; car il y a tel concours d’événements dont on ne peut nier la possibilité, mais dont la combinaison est telle qu’on voit que peut-être ils n’ont jamais eu lieu, et ne l’auront peut-être jamais. Les possibles qu’on peut employer, ce sont les possibles vraisemblables, ce sont ceux où il y a plus à parier pour que contre, qu’ils ont passé de l’état de possibilité à l’état d’existence dans un certain temps limité par celui de l’action. Exemple : il se peut faire qu’une femme soit surprise par les douleurs de l’enfantement en pleine campagne ; il se peut faire qu’elle y trouve une crèche ; il est possible que cette crèche soit appuyée contre les ruines d’un ancien monument ; mais la rencontre possible de cet ancien monument est à sa rencontre réelle, comme l’espace entier où il peut y avoir des crèches est à la partie de cet espace qui est occupée par d’anciens monuments. Or ce rapport est infiniment petit ; il n’y faut donc avoir aucun égard ; et cette circonstance est absurde, à moins qu’elle ne soit donnée par l’histoire, ainsi que les autres circonstances de l’action. Il n’en est pas ainsi des bergers, des chiens, des hameaux, des troupeaux, des voyageurs, des arbres, des ruisseaux, des montagnes et de tous les autres objets qui sont dispersés dans les campagnes, et qui les constituent. Pourquoi peut-on les mettre dans la peinture dont il s’agit, et sur le champ du tableau ? Parce qu’ils se trouvent plus souvent dans la scène de la nature qu’on se propose d’imiter, qu’il n’arrive qu’ils ne s’y trouvent pas. La proximité ou la rencontre d’un ancien monument est aussi ridicule que le passage d’un empereur dans le moment de l’action. Ce passage est possible, mais d’un possible trop rare pour être employé ; celui d’un voyageur ordinaire l’est aussi, mais d’un possible si commun que l’emploi n’en a rien que de naturel. Il faut que le passage de l’empereur ou la présence de la colonne soit donné par l’histoire.

Deux sortes de peintures ; l’une qui, plaçant l’œil tout aussi près du tableau qu’il est possible, sans le priver de sa faculté de