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ESSAI SUR LA PEINTURE.

gazette ? C’est que ces hommes sont sans imagination, sans verve ; c’est qu’ils ne peuvent atteindre à aucune idée forte et grande.

Plus une composition est vaste, plus elle demande d’études d’après nature. Or, quel est celui d’entre eux qui aura la patience de la finir ? qui est-ce qui y mettra le prix quand elle sera achevée ? Parcourez les ouvrages des grands maîtres, et vous y remarquerez en cent endroits l’indigence de l’artiste à côté de son talent ; parmi quelques vérités de nature, une infinité de choses exécutées de routine. Celles-ci blessent d’autant plus qu’elles sont à côté des autres ; c’est le mensonge rendu plus choquant par la présence de la vérité. Ah ! si un sacrifice, une bataille, un triomphe, une scène publique pouvait être rendue avec la même vérité dans tous ses détails, qu’une scène domestique de Greuze ou de Chardin !

C’est sous ce point de vue surtout que le travail du peintre d’histoire est infiniment plus difficile que celui du peintre de genre. Il y a une infinité de tableaux de genre qui défient notre critique. Quel est le tableau de bataille qui pût supporter le regard du roi de Prusse ? Le peintre de genre a sa scène sans cesse présente sous ses yeux ; le peintre d’histoire, ou n’a jamais vu, ou n’a vu qu’un instant la sienne. Et puis l’un est pur et simple imitateur, copiste d’une nature commune ; l’autre est, pour ainsi dire, le créateur d’une nature idéale et poétique. Il marche sur une ligne difficile à garder. D’un côté de cette ligne, il tombe dans le mesquin ; de l’autre, il tombe dans l’outré. On peut dire de l’un, multa ex industria, pauca ex animo ; de l’autre, au contraire, pauca ex industria, plurima ex animo.

L’immensité du travail rend le peintre d’histoire négligent dans les détails. Où est celui de nos peintres qui se soucie de faire des pieds et des mains ? Il vise, dit-il, à l’effet général ; et ces misères n’y font rien. Ce n’était pas l’avis de Paul Véronèse ; mais c’est le sien. Presque toutes les grandes compositions sont croquées. Cependant le pied et la main du soldat, qui joue aux cartes dans son corps de garde, sont les mêmes dont il marche au combat, dont il frappe dans la mêlée.

Que voulez-vous que je vous dise du costume ? Il serait choquant de le braver à un certain point ; il y aurait plus souvent de la pédanterie et du mauvais goût à s’y assujettir à la