Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XI.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs erreurs, les arbres sont fort discrets ; que les graves personnages faisaient encore retentir à sept heures du soir la salle à manger de leurs cris tumultueux, sur les nouveaux principes des économistes, l’utilité ou l’inutilité de la philosophie, la religion, les mœurs, les acteurs, les actrices, le gouvernement, la préférence des deux musiques, les beaux-arts, les lettres et autres questions importantes, dont ils cherchaient toujours la solution au fond des bouteilles, et regagnaient, enroués, chancelants, le fond de leur appartement, dont ils avaient peine à retrouver la porte, et se remettaient, dans un fauteuil, de la chaleur et du zèle avec lesquels ils avaient sacrifié leurs poumons, leur estomac et leur raison, pour introduire le plus bel ordre possible dans toutes les branches de l’administration ; j’allais, accompagné de l’instituteur des enfants de la maison, de ses deux élèves, de mon bâton et de mes tablettes, visiter les plus beaux sites du monde. Mon projet est de vous les décrire, et j’espère que ces tableaux en vaudront bien d’autres. Mon compagnon de promenades connaissait supérieurement la topographie du pays, les heures favorables à chaque scène champêtre, l’endroit qu’il fallait voir le matin ; celui qui recevait son intérêt et ses charmes, ou du soleil levant ou du soleil couchant ; l’asile qui nous prêterait de la fraîcheur et de l’ombre pendant les heures brûlantes de la journée. C’était le cicerone de la contrée. Il en faisait les honneurs aux nouveaux venus ; et personne ne s’entendait mieux à ménager à son spectateur la surprise du premier coup d’œil. Nous voilà partis. Nous causons. Nous marchons. J’allais la tête baissée, selon mon usage, lorsque je me sens arrêté brusquement, et présenté au site que voici.

Premier site. — À ma droite, dans le lointain, une montagne élevait son sommet vers la nue. Dans cet instant, le hasard y avait arrêté un voyageur debout et tranquille. Le bas de cette montagne nous était dérobé par la masse interposée d’un rocher. Le pied de ce rocher s’étendait en s’abaissant et en se relevant, et séparait en deux la profondeur de la scène. Tout à fait vers la droite, sur une saillie de ce rocher j’observai deux figures que l’art n’aurait pas mieux placées pour l’effet. C’étaient deux pêcheurs ; l’un assis et les jambes pendantes vers le bas