Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XI.djvu/119

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ignorée ou connue. Est-ce qu’il y a une exception pour le vent d’ouest ? est-ce qu’il y a une exception pour les grains de sable ? une autre pour les tourbillons ? Si toutes les forces qui animaient chacune des molécules qui formaient celui qui nous a enveloppés étaient données, un géomètre vous démontrerait que celle qui est engagée entre votre œil et sa paupière est précisément à sa place.

— Mais, dit l’abbé, je l’aimerais tout autant ailleurs ; je souffre, et le paysage que nous avons quitté me récréait la vue.

— Et qu’est-ce que cela fait à la nature ! est-ce qu’elle a ordonné le paysage pour vous ?

— Pourquoi non ?

— C’est que si elle a ordonné le paysage pour vous, elle aura aussi ordonné pour vous le tourbillon. Allons, mon ami, faisons un peu moins les importants. Nous sommes dans la nature ; nous y sommes tantôt bien, tantôt mal ; et croyez que ceux qui louent la nature d’avoir au printemps tapissé la terre de vert, couleur amie de nos yeux, sont des impertinents qui oublient que cette nature, dont ils veulent retrouver en tout et partout la bienfaisance, étend en hiver, sur nos campagnes, une grande couverture blanche qui blesse nos yeux, nous fait tournoyer la tête, et nous expose à mourir glacés. La nature est bonne et belle, quand elle nous favorise ; elle est laide et méchante, quand elle nous afflige. C’est à nos efforts mêmes qu’elle doit souvent une partie de ses charmes.

— Voilà des idées qui me mèneraient loin.

— Cela se peut.

— Et me conseilleriez-vous d’en faire le catéchisme de mes élèves ?

— Pourquoi non ? je vous jure que je le crois plus vrai et moins dangereux qu’un autre.

— Je consulterai là-dessus leurs parents.

— Leurs parents pensent bien, et vous ordonneront d’apprendre à leurs enfants à penser mal.

— Mais pourquoi ? Quel intérêt ont-ils à ce qu’on remplisse la tête de ces pauvres petites créatures de sottises et de mensonges ?

— Aucun ; mais ils sont inconséquents et pusillanimes. »