Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XI.djvu/156

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des objets mêmes : un imbécile dans la fièvre, une fille hystérique ou vaporeuse, sera grande, fière, haute, éloquente,

Nec mortale sonans…

Virgil. Æneid. lib. VI, v. 50.

La fièvre tombe, l’hystérisme cesse, et la sottise renaît. Vous concevez maintenant ce que c’est que le fromage mou qui remplit la capacité de votre crâne et du mien. C’est le corps d’une araignée dont tous les filets nerveux sont les pattes ou la toile. Chaque sens a son langage. Lui, il n’a point d’idiome propre ; il ne voit point, il n’entend point, il ne sent même pas ; mais c’est un excellent truchement. Je mettrais à tout ce système plus de vraisemblance[1] et de clarté, si j’en avais le temps. Je vous montrerais tantôt les pattes de l’araignée agissant sur le corps de l’animal, tantôt le corps de l’animal mettant les pattes en mouvement. Il me faudrait aussi un peu de pratique de médecine ; il me faudrait… du repos, s’il vous plaît, car j’en ai besoin.

Mais je vous vois froncer le sourcil. De quoi s’agit-il encore ; que me demandez-vous ?… J’entends ; vous ne laissez rien en arrière. J’avais promis à l’abbé quelque radoterie sur les idées accessoires des ténèbres et de l’obscurité. Allons, tirons-nous vite cette dernière épine du pied ; et qu’il n’en soit plus question.

Tout ce qui étonne l’âme, tout ce qui imprime un sentiment de terreur conduit au sublime. Une vaste plaine n’étonne pas comme l’océan, ni l’océan tranquille comme l’océan agité.

L’obscurité ajoute à la terreur. Les scènes de ténèbres sont rares dans les compositions tragiques. La difficulté du technique les rend encore plus rares dans la peinture, où d’ailleurs elles sont ingrates, et d’un effet qui n’a de vrai juge que parmi les maîtres. Allez à l’Académie, et proposez-y seulement ce sujet, tout simple qu’il est ; demandez qu’on vous montre l’Amour volant au-dessus du globe pendant la nuit, tenant, secouant son flambeau, et faisant pleuvoir sur la terre, à travers le nuage qui le porte, une rosée de gouttes de feu entremêlées de flèches.

  1. On reconnaît ici le germe du Dialogue avec d’Alembert (t. II), que Diderot écrivit vers la même époque.