Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XI.djvu/16

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ont de commun avec l’exposition publique et le Salon ? vous allez l’entendre. L’homme habile, à qui l’homme riche demande un morceau qu’il puisse laisser à son enfant, à son héritier, comme un effet précieux, ne sera plus arrêté par mon jugement, par le vôtre, par le respect qu’il se portera à lui-même, par la crainte de perdre sa réputation : ce n’est plus pour la nation, c’est pour un particulier qu’il travaillera, et vous n’en obtiendrez qu’un ouvrage médiocre, et de nulle valeur. On ne saurait opposer trop de barrières à la paresse, à l’avidité, à l’infidélité ; et la censure publique est une des plus puissantes. Ce serrurier, qui avait femme et enfants, qui n’avait ni vêtement ni pain à leur donner, et qu’on ne put jamais résoudre, à quelque prix que ce fût, à faire une mauvaise gâche, fut un enthousiaste très-rare. Je voudrais donc que M. le directeur des académies obtînt un ordre du roi, qui enjoignît, sous peine d’être exclu, à tout artiste, d’envoyer au Salon deux morceaux au moins, au peintre deux tableaux, au sculpteur une statue ou deux modèles. Mais ces gens, qui se moquent de la gloire de la nation, des progrès et de la durée de l’art, de l’instruction et de l’amusement publics, n’entendent rien à leur propre intérêt. Combien de tableaux seraient demeurés des années entières dans l’ombre de l’atelier, s’ils n’avaient point été exposés ? Tel particulier va promener au Salon son désœuvrement et son ennui, qui y prend ou reconnaît en lui le goût de la peinture. Tel autre qui en a le goût, et n’y était allé chercher qu’un quart d’heure d’amusement, y laisse une somme de deux mille écus. Tel artiste médiocre s’annonce en un instant à toute la ville pour un habile homme. C’est là que cette si belle chienne d’Oudry, qui décore à droite notre synagogue [1], attendait le baron notre ami. Jusqu’à lui personne ne l’avait regardée ; personne n’en avait senti le mérite ; et l’artiste était désolé. Mais, mon ami, ne nous refusons pas au récit des procédés honnêtes. Cela vaut encore mieux que la critique ou l’éloge d’un tableau. Le baron voit cette chienne, l’achète ; et à l’instant voilà tous ces dédaigneux amateurs furieux et jaloux. On vient ; on l’obsède ; on lui propose deux fois le prix de son tableau. Le baron va trouver l’artiste, et lui demande la permission de céder sa chienne à

  1. La maison du baron d’Holbach. (BR.)