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PENSÉES DÉTACHÉES
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N’inventez de nouveaux personnages allégoriques qu’avec sobriété, sous peine d’être énigmatique.

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Préférez, autant qu’il vous sera possible, les personnages réels aux êtres symboliques.

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L’allégorie, rarement sublime, est presque toujours froide et obscure.

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La nature est plus intéressante pour l’artiste que pour moi ; pour moi ce n’est qu’un spectacle, pour lui c’est encore un modèle.

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Il y a des licences accordées au dessin, et peut-être au bas-relief, qu’on refuse à la peinture. La vigueur du coloris fait sortir la fausseté, ou le hideux, ou le dégoûtant de l’objet.

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L’artiste moderne vous montrera le fils d’Achille adressant la parole à la malheureuse Polixène ; et il sera froid. L’artiste antique vous le montrera saisissant la chevelure de sa victime et prêt à la frapper ; et il sera chaud. L’instant où il lui enfoncerait son glaive dans la poitrine inspirerait de l’horreur.

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Je ne suis pas un capucin ; j’avoue cependant que je sacrifierais volontiers le plaisir de voir de belles nudités, si je pouvais hâter le moment où la peinture et la sculpture, plus décentes et plus morales, songeront à concourir, avec les autres beaux-arts, à inspirer la vertu et à épurer les mœurs. Il me semble que j’ai assez vu de tetons et de fesses ; ces objets séduisants contrarient l’émotion de l’âme, par le trouble qu’ils jettent dans les sens.

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Je regarde Suzanne ; et loin de ressentir de l’horreur pour les vieillards, peut-être ai-je désiré d’être à leur place.

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Monsieur de La Harpe, vous avez beau dire, il faut agiter,