Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/117

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roule seule ? Cela ne se peut, c’est la femme la plus adroite à faire recrue ; il faut voir comme elle fait demander ce qu’elle veut. Il est impossible d’avoir une volonté quand il ne lui plaît pas qu’on en ait.

Puisque le récit de bonnes actions vous touche, je vous dirai toutes celles qui viendront à ma connaissance ; et, pour vous tenir parole tour de suite : Mme d’Épinay avait donné dix-huit sous à un petit garçon, pour une journée de travail. Le soir il revient à la maison, n’ayant pas un liard. Sa mère lui demanda si on ne lui avait rien donné, il répondit que non, et mentit. Cependant la chose s’éclaircit ; la mère, mieux instruite, voulut savoir ce que les dix-huit sous étaient devenus. Le pauvre petit, il les avait donnés à un cabaretier chez lequel son père avait passé la journée à s’enivrer, et épargné au bonhomme une querelle que sa femme n’aurait pas manqué de lui faire. Si on tenait compte des bonnes actions, elles seraient plus fréquentes, n’en doutez pas. C’est ce qu’on fait aussi à la Chine ; on les y publie à son de trompe : elles y ont des récompenses assurées. Nous ne savons que punir ; nous arrêtons, tant que nous pouvons, les méchants, mais nous ne nous mêlons pas de faire germer les bons : peut-être ne faudrait-il guère de châtiments pour le crime, s’il y avait des prix pour la vertu. On commet le crime par intérêt ; on aimerait autant pratiquer la vertu par le même motif, et il y aurait de l’honneur et de la sécurité de plus à gagner. Où l’on donne une bourse d’or à l’homme bienfaisant, on n’en doit guère voler.

Grimm et elle sont partis hier pour Étampes ; ils y passeront dix jours chez Mlle de Valory ; ils seront sûrement heureux, autant qu’il est possible. Avec des procédés, quelque bien observés qu’ils soient, on n’a rien à reprendre, et l’on n’est pourtant contente de rien ; c’est que ce n’est pas un équivalent : c’est la monnaie de la tendresse. Tous les égards du monde ne valent pas une caresse, un sourire, un mot doux, même une querelle délicate, un reproche obligeant, une petite bouderie sur un refus même placé, en un mot, toutes ces tracasseries que je fais si bien, de propos délibéré, sans être offensé.

Le temps fera pour lui, j’en suis sûr ; il est déjà moins réservé. La honte de pratiquer en ma présence un conseil que je lui avais donné ne l’a point arrêté ; rien n’arrête cet homme, quand