Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/122

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n’est pas encore temps de plaisanter. Il faut auparavant savoir quelle perte vous avez faite, et que vous m’ayez juré toutes deux et chacune sur votre honneur que vous vous portez bien. Je n’ai pas le temps de causer davantage avec vous. J’ai employé mes trois fêtes à travailler comme un forçat pour d’honnêtes gens que je connais un peu, qui ont fait une découverte importante et à qui je n’ai pu refuser le service de l’exposer. Mais pendant que je m’occupais de leur affaire, la mienne restait là. Je vous écris de chez Le Breton vis-à-vis d’un tas d’épreuves à corriger et après lesquelles on attend. Il faut pourtant que Grimm ait raison ; que le temps ne soit pas une chose dont nous puissions disposer à notre gré ; que nous le devons d’abord à nos amis, à nos parents, à nos devoirs, et qu’il y a dans la dissipation qu’on en fait, en le prodiguant à des indifférents, quelque principe vicieux. Si j’avais été vraiment bienfaisant, pourquoi en aurais-je du regret ? Il faut que mon action ou ma conscience pèche, et j’aime mieux croire que c’est mon action.

Adieu, mes tendres amies, femmes que j’aime de tout mon cœur. À présent que vous voilà tranquilles, reposez-vous, nettoyez-vous, décrassez-vous. Je suis sûr que vous êtes noires comme du charbon, que vous puez la crotte, le fumier et la fumée, qu’on ne saurait par où vous prendre sans se gâter. Je ne sais ce que je dis ; qu’on la jette entre mes bras comme elle est, et dans un état pire encore. Adieu, adieu ; trouvez, tout à travers vos travaux et vos assiduités, un moment pour me dire que vous vous portez bien. Mille baisers à toutes deux, sur vos mains noires, sales, enfumées, chère sœur ; partout où vous le permettrez, chère et tendre amie.


LXXVI


Paris, le 29 août 1762.


J’ai fait part à Damilaville de votre accident, et nous avons pensé l’un et l’autre que si vous envoyiez un état de votre perte,