on manque d’eau, et puis des tempêtes qui vous tiennent vingt-quatre heures de suite entre la mort et la vie. Il est impossible que vous vous fassiez une juste image d’un équipage après une tempête. À ce propos, l’Écossais nous dit : « Imaginez que nos voiles étaient déchirées, nos mâts rompus, nos matelots épuisés de fatigue, le vaisseau sans gouvernail, abandonné aux flots, le vent nous portant avec fureur droit contre des rochers ; douze autres et moi assis en silence dans la chambre du capitaine, la tête baissée, les bras croisés, les yeux fermés, en attendant à chaque minute le naufrage et la mort. On est bien vieux quand on a passé une entière journée dans ces transes-là. Ce fut un matelot ivre qui nous sauva. Il y avait à fond de cale une vieille voile, pourrie et criblée de trous ; il alla la chercher, et la tendit comme il put. Les voiles neuves, qui recevaient toute la masse du vent, avaient été déchirées comme du papier. Celle-ci, en arrêtant et en laissant échapper une partie, résista, et conduisit le bâtiment. Il rasa le pied de rochers terribles, mais il n’y toucha pas… » On ne profite de rien ; pourquoi n’aurait-on pas des voiles percées pour les gros temps ?
Nous gagnâmes le haut de la côte au milieu de cette tempête, et nous nous trouvâmes à la hauteur de Chennevières, où nous dirigeâmes notre course, dans le dessein d’embrasser les petits enfants, mais ils étaient encore dans leurs berceaux. Nous nous contentâmes de lever leur couverture et de les regarder : c’est un spectacle qui touche. Après avoir cajolé un peu la nourrice, que Raphaël aurait prise pour un modèle de la Vierge, à ce que disait Marmontel, la première fois qu’il la vit, et l’avoir un peu dédommagée de nos mauvaises plaisanteries par nos largesses, nous traversâmes la plaine de Champigny à Ormesson-d’Amboile, et nous regagnâmes le Grandval, où nous trouvâmes le baron de Dieskau, qui avait saisi ce jour de beau temps pour s’acquitter, avec Mme d’Aine et le Baron, de la promesse qu’il leur avait faite de les venir voir. Ce fut une reconnaissance entre lui et le jeune Marchais. Ils s’étaient connus à Québec.
Je crois vous avoir déjà parlé du baron de Dieskau. Si vous lisiez les gazettes, vous y auriez trouvé son nom avec un éloge. Il commandait, il y a quatre ou cinq ans, aux environs de Québec et de Montréal, une poignée de Français et de Canadiens ; il fut attaqué par un corps considérable d’Anglais et de sauvages