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symptômes physiques qui semblent annoncer la guérison, j’en ajouterais de moraux. Les médecins ne font point d’attention à ceux-ci, et je crois qu’ils ont tort. On est bien malade quand on perd son caractère ; on se porte mieux quand on le reprend. Tenez-moi pour mort, ou pour moribond du moins, l’une et l’autre, lorsque je n’aurai pas la plus grande peine ou le plus grand plaisir à penser à vous.

Je ne savais pas qu’on fût allé en Champagne. Ce soupçon est une de ces idées qui me sont venues comme elles vous viennent. Lorsque notre esprit abandonné à lui-même se promène en sautillant sur les choses possibles, il est tout naturel qu’il s’arrête de préférence sur celles qui l’intéressent. Un homme jaloux, que rien n’inquiète ni ne distrait, a encore des pensées de jalousie.

Mais ce qui me peine, c’est de ne jamais apprendre les choses ; il faut que je les devine. Cela me fait penser qu’on est dans l’usage de me les dissimuler et qu’on espère que je les ignorerai.

Mademoiselle, je vous souhaite beaucoup de plaisir, des petits déjeuners bien gais le matin, des lectures douces, des promenades agréables avant et après le dîner, des causeries tête à tête et bien tendres, à la chute du jour ou au clair de la lune, sur la terrasse. Mme Le Gendre et madame votre mère vous devanceront dans les vordes, si vous y allez ; et vous irez. Vous suivrez à dix ou vingt pas, et vous aurez ainsi cette liberté qui s’accorde avec la passion et la décence ; vous aurez du moins le plaisir d’entendre et de dire, sans gêner.

Je ne veux rien savoir absolument ; j’aime mieux m’en rapporter à mon imagination, qui ne m’affaiblira pas sûrement votre bonheur.


LXXXIII


À Paris, le 3 octobre 1762.


Je n’oserais rien prononcer sur les suites de cette maladie ; ce sont des jours successivement bons, mauvais et détestables ;