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accompagna et me remit à ma porte à une heure du matin. Je vous ai lue avant que de m’endormir ; aurais-je bien dormi avec une lettre de mon amie fermée sous mon oreiller ? J’ai été voir aujourd’hui d’Alembert, qui s’est fait transporter de chez lui chez M. Watelet. Je l’ai trouvé seul ; notre entrevue a été fort tendre. De là, dîner chez la très-aimable sœur avec La Rue. Nous devions après diner aller voir ensemble les tableaux du Luxembourg ; mais le travail pressé de l’atelier ne l’a pas permis.

Nos conversations continuent d’être charmantes ; nous y parlons sans cesse de la mère, des enfants, des petits-enfants, de tout ce qui nous est le plus cher au monde ; ne manquez pas de le leur dire. Il est arrivé à la chère sœur une grande aventure ; je la saurai demain ; mais, chut. Adieu, adieu.


XC


À Paris, le 18 août 1765.


Vous voyez bien, chère amie, que jusqu’ici je n’ai pas encore répondu un seul mot à aucune de vos lettres. Ce sera ma ressource dans la saison morte, lorsque tous mes amis seront absents et que j’en serai réduit comme vous aux petits événements domestiques.

Cette jeune personne qui faisait bonne ou mauvaise compagnie à M. Gaschon regardait la chère sœur avec un œil envieux et inquiet ; elle ne perdait pas une de ses paroles. Sans autre intelligence entre nous que celle qui naissait de la malice commune et de l’occasion, nous nous faisions un amusement cruel de la tourmenter. Moi, je suis une bonne âme ; nous n’eûmes pas mis le pied hors de l’appartement, que j’eus des remords. Mme Le Gendre la plaignait beaucoup, si son caractère répondait à sa figure, de s’être attachée à un homme aussi léger que M. Gaschon. Nous avons beau être près de nous-mêmes, quelle facilité à nous oublier n’avons-nous pas ! Nous portons de la conduite des autres un jugement sévère, sans nous apercevoir qu’il tombe à plomb sur la nôtre. Le rôle de M. Gaschon est,