Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/194

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timents d’attachement et d’estime qu’il lui a voués. Sa lettre était à moitié écrite lorsqu’on lui apprend que, deux jours après son départ de Londres, cet homme s’était brûlé la cervelle d’un coup de pistolet. Mais ce qu’il y a de singulier, c’est que ce dégoût de la vie, qui les promène de contrée en contrée, ne les quitte pas ; et qu’un Anglais qui voyage n’est souvent qu’un homme qui sort de son pays pour s’aller tuer ailleurs. N’en voilà-t-il pas un qui vient tout à l’heure de se jeter dans la Seine ? On l’a péché vivant ; on l’a conduit au Grand-Châtelet, et il a fallu que l’ambassadeur interposât toute son autorité pour empêcher qu’on n’en fît justice. M. Hume nous disait, il y a quelques jours, qu’aucune négociation politique ne l’avait autant intrigué que cette affaire, et qu’il avait été obligé d’aller vingt fois chez le premier président avant que d’avoir pu lui faire entendre qu’il n’y avait dans aucun des traités de la France et de l’Angleterre aucun article qui stipulât défense à un Anglais de se noyer dans la Seine sous peine d’être pendu ; et il ajoutait que, si son compatriote avait été malheureusement écroué, il aurait risqué de perdre la vie ignominieusement, pour s’être ou ne s’être pas noyé. Si les Anglais sont bien insensés, vous conviendrez que les Français sont bien ridicules.

Les Anglais ont, comme nous, la fureur de convertir. Leurs missionnaires s’en vont dans le fond des forêts porter notre catéchisme aux sauvages. Il y eut un des chefs de horde qui dit à un de ces missionnaires : « Mon frère, regarde ma tête ; mes cheveux sont tout gris ; en bonne foi crois-tu qu’on fasse croire toutes ces sottises-là à un homme de mon âge ? Mais j’ai trois enfants. Ne t’adresse pas à l’aîné, tu le ferais rire ; empare-toi du plus petit, à qui tu persuaderas tout ce que tu voudras. » Un autre missionnaire prêchait à d’autres sauvages notre sainte religion, et la prédication se faisait par un truchement. Les sauvages, après avoir écouté quelque temps, firent demander aux missionnaires qu’est-ce qu’il y avait à gagner à cela. Le missionnaire dit au truchement : « Répondez-leur qu’ils seront les serviteurs de Dieu. — Non pas, s’il vous plaît, répliqua le truchement au missionnaire ; ils ne veulent être les serviteurs de personne. — Eh bien ! dit le missionnaire, dites-leur qu’ils seront les enfants de Dieu. — Bon pour cela », reprit le truchement. En effet, la réponse fit plaisir aux sauvages.